Les Témoignages
Regards sur notre politique d’asile
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Se mobiliser pour un droit fondamental
Et le souci c’est qu’on n’arrive pas à mobiliser les gens sur la problématique de la violation, en France, d’un droit fondamental ! L’asile est un droit fondamental. Et moi je me dis aujourd’hui que si on peut commencer à marcher sur un droit comme celui-là, on va marcher sur quoi après ?
Membre d’une association
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Le grand pubic connaît mal le droit d'asile
Moi ce qui me choque aussi c’est l’opinion publique. C’est sûr que déjà il y a l’image « étranger », mais aussi qu’il y a une méconnaissance quand même, une grande confusion, de ce qu’est un demandeur d’asile, et qu’il est dans son droit quand même quand il vient là. Nous par exemple, quand ça a explosé ici (explosion de l’usine AZF), on nous a prêté un appartement à Colomiers et il y avait un voisin qui venait nous voir en disant « mais finalement l’Etat français il paie un logement à ces gens, il leur paie tout, en gros c’est moi qui paie, alors ils n’ont qu’à retourner chez eux ». Et on sentait qu’il ne comprenait rien quoi. Et moi je me dis que dans l’opinion publique il pourrait y avoir une sensibilisation, qui passe parfois par France terre d’asile ou la journée des réfugiés, il y a des messages mais qui restent dans des comités. Mais en fait ces messages là il faudrait les faire passer au niveau national.
Salariées d’un centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA)
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Accompagner ou réprimer les migrations ?
Moi ce que je dirais c’est que l’immigration est un phénomène naturel, elle a toujours existé, elle existera toujours. Les populations bougent. Les frontières dont des frontières créées par les hommes, mais la faim, la violence ou même des traditions migratoires, et le durcissement des politiques migratoires, la forteresse Europe, font que ce phénomène qui est un phénomène naturel, existera toujours, mais simplement, au lieu d’exister de façon visible et donc contrôlable – j’entends au sens contrôlable, pas sélection des migrants, mais contrôlable en terme d’aide à l’insertion, accompagnement, repérage des gens et des situations – et bien tout ceci ne se fera plus et donc ces phénomène de migration existeront toujours mais simplement seront clandestins, et don dangereux. Et pour l’individu, et pour la société qui accueille des gens en situation difficile et qui donc, étant en situation difficile, sont obligés de trouver des remèdes qui eux-mêmes sont difficiles. Donc on a deux façons de voir l’immigration : soit de rejeter ce phénomène naturel et de monter des barrières, soit de considérer que si c’est un phénomène naturel il faut le prendre en compte et l’accompagner. Moi je suis plutôt pour cette deuxième dimension. Voilà.
Plutôt que de lutter contre la clandestinité pour générer finalement une clandestinité plus grande encore.
Oui, c’est ça. La migration a existé de tout temps et existera quoi que l’on fasse. Alors après, soit les gens migrent gentiment, à pied il y a des siècles, en bateau, puis maintenant en voiture, en avion. Et puis voilà, ils arrivent. Soit on met des grilles, au sens propre du terme, comme par exemple dans l’enclave espagnole au Maroc. On voit ce que ça donne : les gens escaladent les barbelés, tombent, se blessent, se tuent, mais ils escaladent quand même. Ils vont dans des essieux de camions, ils essaient de franchir le tunnel sous la manche. Ils essaient de partir en barque de Maghreb et ils se noient. Et donc, monter des barrières c’est exposer les gens à des dangers vitaux, soit dans le parcours, soit une fois arrivés dans le pays. Voilà, c’est une décision politique. Est-ce que l’on décide d’empêcher l’immigration et de toute façon elle aura lieu, dire qu’elle n’aura pas lieux parce qu’on met des barrière, ça c’est une hérésie. Simplement, on décide que les gens se mettront en danger et que c’est ce danger qui va freiner le mouvement. Je ne suis pas sûr que ce soit vrai. Mais par contre le danger, lui, on le voit vraiment. Les gens, maintenant, qui veulent migrer, se mettent en danger, pendant leur parcours et à l’arrivée. L’immigration est un vrai problème, mais le régler en disant ça n’existe pas, en montant des hauts murs, ça par contre c’est clair que c’est une fausse réponse.
Un médecin s’occupant régulièrement des migrants
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Sentiment de rejet et critique de l'hypocrisie
C’est la façon dont on nous a accueillis ici en France. Quand on nous accueille comme ça, même si je ne vois aucun ministre ni rien, je vois quelqu’un de normal, qui me prend, qui m’accueille, qui me met dans un foyer, comme le Conseil Général et tout ça. Ils vont nous accueillir. Après quand on tourne le dos, qu’est-ce qu’ils vont dire ? Ils peuvent dire « ouais, ils quittent leur pays, ils viennent ici, tous les jours ils viennent 100, 50 aujourd’hui, demain 300, à chaque fois le numéro il ne baisse jamais, il monte ! Pourquoi ils viennent ces gens ? Qu’est-ce qu’il y a en France qu’il n’y a pas chez eux ? Qu’est-ce qu’ils ont ? » C’est tout ça.
Tu sens comme ça le reproche social, l’ambiance générale qui reproche
Oui.
Je comprends, c’est sûr que c’est fort. Ça pèse.
Parce que moi j’imagine : si avant, comme il avait dit Sarkozy, il y avait les cartes de dix ans et après il dit qu’il voulait voter une loi pour enlever la carte de dix ans, pour commencer à donner un an, puis un an, et puis une carte de trois ans. Mais s’il donnait dix ans, pourquoi maintenant ils vont enlever et donner trois ans ? ça c’est pour quoi faire ? C’est pour embêter les gens ? Ou pour les gens au pouvoir ? A quoi va servir ça ?
A faire plaisir à certains électeurs peut-être.
Non. C’est une façon de s’exprimer qui veut dire qu’il n’est pas content des gens qui sortent de leur pays, qui viennent en France. Mais sans savoir comment s’expliquer, alors il fait le tour, le tour, le tour et après pour arriver là où il veut. En France, c’est sûr, moi je suis bien. Je sors de gauche à droite, je fais ma vie, je respecte la loi, je fais ce qui me concerne, mais on n’est pas bien à toutes les places. Moi aujourd’hui, je suis là, je fais mon diplôme. Je ne sais même pas après, un jour, quand j’aurais envie de travailler, s’ils vont me prendre pour travailler. Parce que ce ne sont pas tous les employeurs qui prennent les gens de couleur. Je ne suis pas français, déjà. Un jour je voulais faire des stages à la Connex, la Connex, avec le métro tu sais ?
Oui.
Ils ne m’ont pas pris pourquoi ? Parce que je ne suis pas Français. Ça, c’est une séparation. Le monde, on doit tous vivre ensemble. Tu imagines si aujourd’hui le monde il est à moi : « toi on te prend pas parce que t’es pas Français. En tout cas, moi je vis en France et j’ai personne. Toute ma vie je la fais en France. Une autre personne vient et l’employeur prend un Français. Moi, comment je vais rester ? Je vais me poser des questions « il prend que des Français… ». Si c’est quelqu’un qui ne réfléchit pas, qu’est-ce qu’il va dire ? Tous les Français qu’il va voir devant lui, il n’aimera pas ces Français.
Un demandeur d’asile arrivé mineur en France
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Complexité et pouvoir discrétionnaire : l’asile une loterie ?
Quelle que soit la problématique que l’on puisse rencontrer, que ce soit nous institution dans l’accompagnement que l’on fait ou que ce soit le demandeur d’asile par rapport à tout, c’est aujourd’hui en France une question de personne. C’est une loterie en fait. Il y a des Préfectures dans lesquelles au guichet c’est génial, il y a des gens supers compétents, aimables, respectueux. A l’OFPRA il y a des officiers de protection qui sont d’enfer. A la C.R.R. (Commission de recours des réfugiés, devenues Cour nationale du droit d’asile) il y a des rapporteurs, des Président de formation de jugement qui sont géniaux. Mais, c’est une question de loterie. Si on tombe dessus tant mieux, si on n’y tombe pas, tant pis. Et c’est ça qui est grave. C’est ça qui est très grave (…)
La personne en elle-même, elle a un besoin qui est celui d’être protégée. Et quand on sait ce qui arrive aux gens qui sont renvoyés, qui repartent dans certains pays, pour qui ça craint plus que ça puisque que pour certains on a pu avoir des témoignages de ce qui leur était arrivé, à savoir des arrestations voire des exécutions, on se dit qu’on n’a pas le droit de faire dépendre la vie de quelqu’un du bon vouloir ou pas d’une, deux, trois ou quatre personne. C’est même pas une question de sécurité juridique parce qu’on en est même plus là, bien que ça devrait être évident, mais au-delà de ça, humainement parlant on se rend compte aujourd’hui en France qu’un dossier de demande d’asile, sachant qu’il y a une vie au bout de chacun de ces dossiers, et bien c’est une question de loterie. Ce n’est plus du tout une question de « il y a besoin ou pas de protection ». Donc on n’est plus dans une logique d’asile. C’est plus ça.
Membre d’une association
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Plus de contentieux, moins de régularisation humanitaire
sur l’ensemble des personnes que vous défendez, accompagnez, vous avez une certaine estimation du nombre qui à votre connaissance sont finalement régularisées d’une manière ou d’une autre, que ce soit à la CRR, au TA, etc…
Jusqu’à présent, de tous ceux que j’avais défendus, soit ils avaient eu le statut à la CRR, soit ils avaient été régularisés ; je parle juste il y a deux ans.
Soit régularisés par la Préfecture, soit éventuellement…
Par un autre moyen.
Contentieux gagné.
Ça n’allait pas jusqu’au contentieux à cette époque là.
Même pas.
Non. Je me rappelle juste d’il y a cinq ans une famille tchétchène qui est partie de son plein gré, parce qu’elle avait été déboutée, mais c’est tout.
Et depuis deux ans ça a changé surtout à cause du changement de politique à la Préfecture ou à la CRR.
Non, là à la CRR je trouve que depuis un an ça c’était un peu amélioré quand il y a eu les nouveaux rapporteurs, les nouveaux chefs de section j’ai trouvé que ça c’était amélioré, et le nouveau Président. Par contre c’est au niveau de la Préfecture que ça c’est durci et que là effectivement on est plus dans le contentieux.
Avec beaucoup moins de régularisations, avec une volonté affichée, y compris nationale, de de reconduire. Et même quand on est dans le contentieux, quand on gagne, avec cette histoire d’appel systématique, on… Autrefois même lorsqu’il y avait appel au Conseil d’Etat, entre temps souvent les situations se dénouaient. Vous voyez ce que je veux dire ? Les situations évoluaient, il y avait un enfant de plus, enfin il y avait des trucs qui faisait que la Préfecture finissait par régulariser. Là maintenant, « il y a appel on ne bouge pas » quoi ! « si on a fait appel c’est pas pour régulariser ».
Un petit oubli, ça fait longtemps que je n’ai pas pratiqué, mais si vous gagnez suite à un appel devant le TA (tribunal administratif) suite à une invitation à quitter le territoire par exemple, si le TA casse la décision de la Préfecture, l’étranger doit être régularisé ou pas ? ça dépend de la décision du TA je crois.
En général sur une décision en référé il y a injonction de délivrance d’une autorisation provisoire de séjour et injonction de ré-examiner le dossier. Mais là moi j’en ai trois ou quatre ou effectivement j’ai gagné et finalement la Préfecture fait appel dans un délai qui s’avère très lointain, dans l’intervalle on a une APS (autorisation provisoire de séjour), mais on n’a pas de ré-examen de dossier.
Une avocate spécialisée
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Si la France m'accordait une chance ça me ferait du bien
Donc voilà la France !
Et qu’est-ce que vous pensez alors de la France ?
Pour moi je ne sais pas. Je ne peux rien penser pour la France. Maintenant c’est Sarkozy qui commande. Il y a tout le temps des lois, des choses. C’est comme ça, on ne peut que supporter. Rentrer chez moi ? Je ne rentrerai pas. Tout ce temps là que j’ai fais ici : non, non, non, non, non ! ça fait trois ans que je suis ici. Je ne connais plus ce qui se passe là bas. Je ne sais même pas si notre maison existe ou n’existe plus. Je ne sais rien, rien du tout. Si j’arrive là bas, avec ma petite fille, je vais commencer par où ? Et terminer où ? Donc c’est difficile pour nous. C’est ça la France.
Et alors quand est-ce que vous avez commencé à faire les procédures pour l’asile politique ?
Moi j’ai commencé à faire la procédure deux mois après mon arrivée.
Vous étiez encore mineure ?
J’étais encore mineure, j’avais seize ans. Pour faire le dossier on a collaboré avec Amnesty International. On m’a beaucoup aidée pour faire ce dossier. Après on a envoyé le dossier une première fois et j’ai eu une réponse négative. Ensuite on a envoyé un second dossier, il faut attendre encore un an. La réponse vient, encore négative. Donc là maintenant, il faut aller à la préfecture, mais à la préfecture, Sarkozy il est fâché ! Maintenant il faut aller à la préfecture faire la demande de carte de séjour. On a déposé le dossier avec la Cimade qui m’a aidée à faire ça. Et Sarkozy il a commencé à appliquer la loi (régularisation de parents d’enfants scolarisés). Je ne peux pas dire que je n’ai pas d’espoir mais… J’espère que ça ira parce que ça me fera vraiment du bien. De m’accorder cette chance quoi. Parce que je vais avancer un peu, par rapport à moi et ma fille. J’aurais le droit de faire une formation, j’aurais le droit d’avoir mon coin avec ma petite fille. Donc pour moi ça m’aiderait beaucoup.
Demandeuse d’asile sans papiers
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Plus dure la vie, pauvre Sarkozy, je ne suis rien
Qu’est-ce que vous pensez de la vie ici en France ? (sa demande d’asile rejetée elle vit clandestinement en France avec sa petite fille)
Bon ! Dans la vie, ici, en France, c’est difficile hein ! C’est dur. C’est dur pour moi. Bon il y a des gens pour qui la vie est facile. Mais moi, actuellement à ce moment-là, ma vie vraiment c’est difficile. Je suis en train de passer dans la galère, galère, galère.
Pour chercher des foyers, des choses comme ça ?
Pour chercher des foyers, comment je peux vivre. Plein, plein, plein, plein, plein de choses. Je suis actuellement en galère, galère, galère. Mais je suis une femme très courageuse. Parce que je connais Dieu. Des fois je reste dans mon coin en pleurant, je vois une autre sœur qui pleure aussi, mais même si je pleure, il n’y a pas de solution. Donc je dois être seulement forte. Donc des fois quelqu’un me voit en ville : « Oh ! cette fille elle est belle, elle est bien habillée, cheveux jolis ». Mais à l’intérieur de moi, je suis tellement blessée. La nuit, au moment de dormir, tous les problèmes ça monte. Dans la journée, quand je me ballade, j’oublie un peu, mais pour dormir ! Là-haut (en montrant sa tête) il y a des problèmes !
C’est difficile de dormir ?
Ah ! Moi je ne dors presque rien. Des fois je m’endors à trois heures du matin, quatre heures du matin. A 6H30 je suis obligée de me lever parce que ma petite fille veut le biberon. Je n’ai pas de sommeil parce que je pense trop. Dès que la nuit tombe, pour moi ça y est, c’est comme si ma vie était finie.
Vous ne pouvez pas oublier.
Je ne peux pas oublier. Dans la journée je suis bien, c’est pour ça, je préfère la journée que la nuit. La journée je suis bien, je vois les gens, je me ballade, je discute. Mais la nuit vraiment je deviens triste, triste. Je commence à penser à ma maman, mon papa, la vie qu’on avait en Afrique, jusqu’à aujourd’hui. Tout ça on dit que c’est le destin. Parce qu’on avait une belle vie en Afrique. Je n’ai jamais connu la souffrance. Il y a des gens qui souffrent en Afrique, c’est la vie, ce n’est pas pareil pour tout le monde. Mais moi je n’ai jamais connu la souffrance en Afrique, j’étais bien. Bien encadré : l’école, la maison, on avait à manger, bien habillés, papa il travaillait bien, maman elle travaillait bien. Tout ça était très, très, très, très bien.
Et quand vous êtes arrivées ici en France, vous vous attendiez à ça ?
Je ne m’attendais pas à ça. Je m’attendais seulement à ce que je sois bien au moins, même si ce n’est pas mon pays. Même si chez moi j’étais mieux, que je sois au moins normale, une vie normale. Mais la première chose que je voulais vraiment, je voulais être protégée. Parce que j’étais vraiment en danger chez moi, donc je voulais d’abord être protégée. Et deuxième chose, je voulais que l’enfant que j’allais avoir (enceinte), qu’elle soit aussi heureuse, qu’elle soit vraiment bien entourée. Après, le reste, après. Voilà. (…) Je suis un peu contre la loi de Sarkozy. Bon, des fois aussi, le pauvre… il n’a pas le choix aussi.
Le pauvre ? Sarkozy ?
Hmm, hmm.
Il faut pas le plaindre ! Vous le plaignez ?! Alors ça c’est…
Oui, c’est ce que j’ai dit. Lui, c’est normal, il ne connaît pas vraiment la situation de chacun. Lui il voit seulement ce qu’il veut. Il ne sait pas vraiment qu’il y a les gens. C’est comme le président, il sait seulement ce qu’il fait mais il ne sait pas si les gens ils souffrent. Il ne vit pas à Toulouse, il ne sait pas ce que moi je suis en train de vivre. Il sait que tout le monde va bien. C’est tout ce qu’il sait. Donc quand il donne les lois, il ne sait pas que moi je vis ça, que ça va aggraver la situation d’untel, untel, untel, la situation administrative. Lui in ne sait pas ça, il dit seulement ce qu’il a envie de dire. Parce que c’est la loi. (… plus tard, elle remplit un document) Qualité ?
C’est comme vous voulez
C’est quoi ?
Ce que vous êtes dans la vie.
Je ne suis rien moi ! Je ne suis rien. Je suis, pfff… Je suis quoi moi ?
Demandeuse d’asile.
Non, je ne le suis plus. Je ne suis plus demandeuse d’asile.
Vous êtes déboutée du droit d’asile.
Non, je ne peux pas mettre ça quand même. Bon, je mets que je suis chrétienne.
Demandeuse d’asile sans papiers
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La France et l'Afrique, c'est le jour et la nuit
La France. Par rapport à l’Afrique, c’est vraiment le jour et la nuit. Moi je ne pensais jamais venir ici. Et depuis que je suis arrivée, je me dis que quand les gens d’Afrique parlaient de la France, la France, vraiment ils avaient… quand je vois les gens se noyer pour arriver ici, je dis qu’ils ont vraiment raison quoi. Ils ont raison parce que vu la sécurité, vu le problème de la santé, comment on soigne les gens ici, comment les gens sont traités, il y a le respect. Je vois qu’il y a d’abord le respect de l’humanité. Chez nous il n’y a pas le respect de l’humanité, il n’y a pas le respect. Donc je vois la France… C’est comme si tu étais au paradis. Nous, le paradis c’est le ciel, quand tu meurs tu vas au paradis. Mais ici je trouve que c’est comme le paradis. Parce que depuis que je suis arrivée, je ne me suis pas disputée avec quelqu’un, je n’ai eu de problèmes avec personne, donc il suffit de se comprendre. Tu passes et tu n’as pas de problèmes avec les gens, on ne te provoque pas, on ne t’agresse pas. Chez nous tu ne peux pas voir une vieille dame porter des bijoux. Ici, quand je vois une vieille dame de 80 ans, 70 ans, se balader avec les bijoux au cou, je dis « il y a une liberté ici ». et quand je regarde la nuit dehors, c’est comme si c’était le jour. Les gens se baladent jusqu’au matin. Comme on était au rez-de-chaussée là où j’étais arrivée, j’entendais les pas, comme je ne dors pas la nuit, j’entendais les pas des gens passer. Je me suis dit « tiens, ils ne dorment pas, et puis ils se baladent à cette heure-ci, ils ne risquent rien. » Depuis que je suis arrivée, je n’ai pas vu un corps, je n’ai pas vu la morgue, je ne sais pas om ça se trouve. Je n’ai jamais vu un corps, je n’ai jamais vu un enterrement depuis que je suis arrivée. Et au pays c’est toutes les deux minutes que tu vois passer un corbillard pinpon, pinpon. C’est comme la fête, au pays. La morgue, si tu veux voir des amis que tu n’as jamais vu pendant des années, tu vas à la morgue. Il y a des obsèques, il y a des familles, c’est comme la fête. Les femmes vont au salon de coiffure pour aller à un enterrement voir leurs proches, pas pour pleurer, les gens qui pleurent ce sont les parents, mais les proches, les amis y vont pour la fête. C’est comme ça.
C’est comme ça que ça se passe.
Oui, chez nous c’est comme ça. Moi mon pays j’ai peur de ça : la sécurité. La famine, la galère on était habitué mais c’est la sécurité. Une femme… surtout les femmes.
Demandeuse d’asile en attente d’une réponse
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Mieux accueillir et donner le droit au travail
La chose où je ne vois absolument pas d’issue parce que c’est un phénomène de société et de gouvernement, c’est que notre accueil est parfois plus traumatisant que les choses qu’ils ont fuies dans leur pays. Et que ces conditions devraient absolument changer. On ne peut pas maltraiter des gens comme on le fait. Si ils arrivent en France et qu’ils commencent une procédure, il faut absolument qu’ils travaillent, qu’ils aient le droit de travailler. On ne peut pas garder des gens dans une situation d’impuissance imposé, d’inactivité imposée. Parce qu’il n’y a pas mieux pour les détruire psychiquement. Ils perdent toutes leurs valeurs personnelles : image de soi, capacités… Et ils ont besoin de ça. Ce n’est pas si difficile à faire. Je crois que même l’Etat serait gagnant, parce que si les gens travaillent ils dépendront moins de l’Etat. Donc on crée un système de dépendance, de frustration, d’assistanat… De toute façon c’est toute l’attitude vis à vis de ces personnes qui n’a jamais été glorieuse. On dit toujours « dans le temps c’était bien », je crois que ce n’était pas très bien. Pour les réfugiés espagnols c’était catastrophique, pour les gens qui fuyaient l’Allemagne c’était pas bon non plus. Il y a ce qui est dit en théorie, en France, et puis les faits. Donc c’est ça pour moi, faire un accueil humain et correct, qui donne aux gens les capacités de faire des choses pour eux-mêmes.
Une psychologue spécialisée
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Partir vers un pays sûr : un voyage de plus en plus risqué
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S'endetter et partir sans la famille
Vous qu’est-ce que vous savez de la manière qu’ils ont eu de venir en France, quelle filière, les difficultés qu’ils ont eues pour l’accès au territoire, avant même de parler de l’accès à la demande d’asile.
La majorité c’est des entrées irrégulières par le biais de passeurs, la majorité des demandeurs d’asile.
Pour ce cas précis là, les demandeurs d’asile qui entrent en France en situation irrégulière par le biais de passeurs. C’est souvent…enfin, si c’est des hommes ils sont obligés de laisser leur femme… enfin leur famille parce que le voyage est trop cher pour l’ensemble de la famille.
Tu as des chiffres là dessus ?
Pas souvent, mais le dernier, un Centrafricain qui me disait que c’était 150 000 CFA pour passer de Centrafrique au Tchad, pareil du Tchad au Niger, autant jusqu’en Algérie, et qu’après il n’avait pas payé jusqu’en Espagne
Pour l’Afrique sub-saharienne, 5000 euros environ.
Après ça dépend si c’est une personne isolée ou avec la famille, ça dépend s’ils viennent d’Afrique ou d’Europe de l’Est par exemple.
Sur l’Europe de l’Est vous avez d’autres données ?
Moi sur l’Europe de l’Est c’est plutôt 10000 euros, entre 10 et 20000 euros en fonction du nombre de membres de famille
En fait vous questionnez les gens là dessus ou ils en parlent spontanément ?
Non, en général ils en parlent comme ça dans le fil de la discussion.
Sinon, s’ils n’en parlent pas ils seront très discrets dessus, quand nous abordons le sujet. Enfin moi c’est comme ça souvent : soit c’est eux qui en parlent, soit tu sens que tu ne tireras pas grand-chose. Dans la demande tu n’as pas …
C’est au premier abord qu’ils en parleront avec beaucoup de difficultés et après ils t’expliquent qu’ils ne veulent pas en parler parce qu’ils doivent encore de l’argent. Et que du coup c’est dur à exprimer quoi.
Membres d’une association
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Vendre ses biens pour partir : le retour inenvisageable
Ce à quoi je pensais, c’est aussi les gens qui pour partir vendent leur maison. Quand c’est pas la guerre, qu’ils ne partent pas dans la panique mais que c’est un peu préparé, pour les pays où ils ont plus de problème de démocratie que de guerre. Donc ils vendent les bijoux, des choses comme ça, ou c’est le village qui se cotise pour faire partir une famille dans l’espoir qu’après ils pourront suivre. Mais du coup ça veut dire que si ça ne marche pas, après le retour est encore plus difficile, parce qu’ils n’ont plus rien.
Surtout que dans ces situations là les demandeurs d’asile se sentent redevables. Parce que la France c’est l’Eldorado et les personnes qui ont de la famille, la famille leur demande d’envoyer de l’argent. Et c’est terrible cette honte de ne pas pouvoir subvenir aux besoins de ceux qui sont restés.
Salariées d’un centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA)
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Dans la cale d’un bateau
L’année dernière j’ai rencontré un jeune homme qui avait fait la traversée dans la cale d’un bateau et au cours de la traversée ses deux copains qui étaient là sont morts. Donc il est sorti de ce bateau où il avait passé je ne sais pas combien de jours, puisque ça se traduisait en terme de jours, c’était plus d’un mois et il n’avait eu que de l’eau et il est arrivé ici du point de vue santé c’était terrible. Il a été hospitalisé tout de suite et ses deux copains sont morts. Et c’est un gamin qui n’avait que dix huit ans quoi.
Membre d’une association
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Une destination pas toujours choisie
Je suis arrivé en France en 2003, c’était le 15 juin 2003. Quand je suis arrivé en France, je suis sorti de mon pays… je suis sorti de mon pays je suis allé à Londres, Londres France, France je suis resté ici. Mais normalement mon parcours il devait être… je devais aller aux Pays Bas.
Ah bon.
Oui.
Et tu partais de quel pays au début ?
Angola. Je sortais de l’Angola. Londres, Londres, France, France, je me suis trouvé à Paris, Paris du coup on est tombé à Toulouse mais… j’étais avec un gars, un ami de mon père, normalement il devait m’emmener à Londres pour me laisser à un copain aussi à mon père. Et de là, on est arrivé ici à Toulouse, à la gare et il m’a laissé tomber.
Un demandeur d’asile arrivé mineur en France
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Destination subie et isolement à l’arrivée
Par quel moyen vous êtes arrivé ici en France ? Comment vous avez fait ? En bateau, en avion, à moto ?
En avion, je suis arrivé en avion.
Et vous êtes entré avec, ou sans papiers ?
C’est avec un passeport d’emprunt que je suis rentré ici en France. Je suis passé par le Bénin. C’est ma maman qui m’avait aidé quoi. Quand j’avais le problème au pays, c’est ma maman qui m’a aidé pour venir ici en France. J’étais venu ici le 30 avril 2005.
Donc en avion.
J’ai pris l’avion à Cotonou pour arriver ici en France.
Donc vous êtes arrivé ici à l’aéroport.
Oui, à l’aéroport Charles De Gaule, avec le monsieur qui m’avait amené, le monsieur qui m’avait fait le papier là-bas, chez nous, heu pas chez nous, à Cotonou. Moi je suis Togolais, j’étais parti au Bénin quand j’ai eu le problème au pays. Et c’est là qua maman avait rencontré le monsieur qui m’avait aidé à faire les papiers (pour obtenir un passeport) et qui m’a amené ici.
C’est un monsieur que vous avez payé ?
Ce n’est pas moi qui l’avais payé, c’est ma maman. Moi je ne connaissais pas ce monsieur, je l’ai rencontré le dernier jour (avant de quitter l’Afrique). Puis on a fait le voyage ensemble, on est arrivé à Paris et il m’a envoyé sur Toulouse, le jour même. Soit disant qu’il avait son petit frère ici qui pouvait m’accueillir ici à Toulouse. Mais quand je suis arrivé, j’ai été déçu. Je suis arrivé et je n’ai même pas vu son petit frère, personne quoi. Donc je suis resté tout seul. J’ai dormi à la gare pendant trois jours. A la gare pendant trois jours. C’est là que j’ai rencontré un compatriote togolais qui m’avait aidé pendant deux mois. Et puis je me suis galéré comme ça jusqu’à ce jour quoi. C’était pas…
Donc la personne vous a menti ?
Oui, il m’avait menti.
Quand vous êtes arrivé à la gare, ça a été quoi votre réaction ?
Ce jour-là, le premier jour, j’étais en larmes parce que j’avais cherché le monsieur pendant trois ou quatre heures, je n’ai vu personne. J’ai été obligé de rester à la gare pendant trois jours. C’était difficile quand même hein. Que voulez-vous, c’est la vie. Et j’ai continué comme ça, avec le courage et ça a payé
Donc vous avez fini par rencontrer un compatriote.
Un compatriote, mais je ne savais pas que c’était un compatriote togolais. Parce que le troisième jour, ce monsieur était sorti, je ne sais pas s’il avait pris le métro ou le train. Donc moi j’étais à la sortie de la gare et il passait, je l’ai salué, je lui ai dit bonjour. Il m’a répondu mais sans s’arrêter et je l’ai suivi et lui ai demandé s’il pouvait m’aider pendant deux jours, comme ça, le temps d’apprendre à bien circuler dans Toulouse, pour connaître. Il a refusé dans un premier temps et puis il est revenu. On s’était parlé en français et puis il m’a demandé d’où je suis. Je lui ai dit que j’étais Togolais. C’est à ce moment-là qu’on a commencé à parler le patois, notre langue quoi et qu’il a accepté ma demande. Il m’a conduit chez lui et il m’a aidé pour deux mois.
Un demandeur d’asile qui a obtenu le statut de réfugié par la suite
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Des conditions de voyage laissant parfois des séquelles
Sur les conditions du voyage. Enfin du « voyage »…
Ça dépend. On a un peu tous les cas de figure. De ceux qui ont un vrai faux passeport, qui vont venir en avion. A ceux qui…
Qui traversent le Sahara à pied.
En passant par ceux qui sont dans les cales des bateaux, qui vont travailler sur des bateaux.
Il y a des réalités super différentes.
Ça peut donc être très très variable avec des conditions qui sont optimum en avion, jusqu’à très difficile dans certains cas, à pied. Vous rencontrez des gens qui arrivent malades ou « abîmés », à cause de ces conditions de voyage ?
Oui.
Vous pouvez donner des exemples ?
Un mec il est parti de côte d’Ivoire, il a traversé, par je ne sais plus quel pays avant le Sahara qu’il a traversé. Le Sahara il a mis un mois et quelque pour la traversée, et il est arrivé, avec sa gourde et en mangeant la chaussure d’un cadavre qu’il avait trouvé dans le désert. Du coup il arrive au Maroc, il se fait lyncher parce qu’il est black, il arrive à passer en Espagne, il manque de crever au Pas de la Case parce qu’il neige, et il arrive ici. Il était arrivé le lundi et son frère l’a amené à la Cimade le mardi, il était tout skèch (très maigre). Deux semaines après il a fini à l’hôpital parce qu’il avait qu’un rein qui marchait, il avait des testicule comme ça, surinfectées, c’était carnage.
D’accord, il y a vraiment eu derrière un état de santé assez déplorable. Et sur lequel il a été pris en charge, il a été soigné ?
CMU (couverture maladie universelle) d’urgence et tout.
Directement mis en place, ça a suivi il n’y a pas eu de soucis.
Non.
C’est quelqu’un dont vous avez eu des nouvelles sur la durée ? Il s’en est remis ?
Il a été débouté (demande d’asile rejetée). Il garde des séquelles au niveau des reins, il a découvert qu’il avait une hépatite. Bon après il a eu d’autres problèmes en France. Mais au niveau santé c’est pas ça.
C’est quelqu’un qui avait des pathologies rénales ou hépatiques avant son départ ?
Non, pas du tout.
C’est vraiment la conséquence de son voyage
Le fait d’être privé d’eau, de nourriture, ça a l’air chaud quand même. Plus un mois et demi dans le désert, il a mis plusieurs mois pour arriver en France. Bon après c’est un exemple, mais des gens qui sont arrivés à pied vous en avez tous rencontré, c’est toujours aussi dur.
Membres d’une association
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Le prix du passage : endettés à l'arrivée
Donc sur les finances, moi je pense à une situation. Ils étaient quand même 9 et ils ont payé 10 000 euros.
En provenance de quel pays ?
Kosovo, enfin ils étaient en Macédoine. Donc lui par rapport à cette somme d’argent il explique qu’il a demandé à la famille de l’aider, de le soutenir dans ce projet. Il sont attendu un moment pour partir d’avoir la somme. La famille prêteuse était déjà en Europe. Donc avec des dettes. De toute façon ils ont tous des dettes quand ils arrivent.
Moi je pense à un monsieur, tout le temps qu’il est resté au CADA (centre d’accueil pour demandeur d’asile) faisait la manche, mais pas pour lui, pour payer le passeur. Tous les jours, du matin au soir.
Salariées d’un centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA)
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L’arrivée en France
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Récit détaillé des premiers jours à Toulouse
Arrivés à Toulouse un vendredi soir, Monsieur et Madame Cabandillo sont directement conduits par leur passeur à la Cité administrative où se trouve encore le S.S.A.E. (Service Social d’Aide aux Emigrants). Les bureaux étant fermés. Une personne dont ils ignorent la fonction leur conseille d’appeler le 115 depuis une cabine téléphonique. Le passeur est reparti. Ils sont éprouvés, sans argent et ne connaissent personne. Après plusieurs appels et une heure d’attente, le 115 leur annonce qu’une place les attend au foyer Riquet Il leur est difficile de s’y rendre : ils sont épuisés et Toulouse leur est totalement inconnue. Ils demandent aux opérateurs du 115 à ce qu’on vienne les chercher mais il leur est répondu que c’est impossible.
On ne sait rien, on ne connaît personne ni… Alors il faut que (il ne reste qu’à) se débrouiller. On a essayé de dire que nous ne savons rien mais non, ils nous ont dit de demander aux gens aux alentours qui peut être pourraient nous indiquer l’endroit (le foyer). On a essayé, on a demandé à un monsieur. Après, l’adresse nous ne l’avions pas bien écrite.
Avec l’aide d’un passant ils rappellent le 115 et notent à nouveau l’adresse. Ce passant les accompagne jusqu’au métro. Ils ont juste de quoi payer leur ticket jusqu’au foyer Riquet. Ils y passeront leurs trois premières nuits. L’accueil c’était bon l’accueil, mais après les conditions c’était pas… Je ne sais pas comment dire, si c’était pas favorable ou si c’était autre chose… Mais bon c’était pas une contrainte seulement pour nous, c’était pour tout le monde, ils ont dit : « ici on entre à sept heures du soir, pour sortir à sept heures du matin, le lendemain. Bon ! On a dit « nous sommes là, on ne sait pas où aller, on ne connaît personne ». On nous a dit « mais c’est comme ça, parce que vous pouvez pas rester ici pendant la journée parce qu’il n’y a personne. Il n’y a personne et il faut se débrouiller ». On leur donne un document où figurent les adresses des principales organisations susceptibles de les aider. C’est le week-end et tous les lieux d’accueil ou d’orientation de jour auxquels ils essaient de s’adresser sont fermés Oui, ils nous ont donné des adresses, je les ai, jusqu’à aujourd’hui je les ai gardées parce que bon, ce sont des souvenirs ! on nous a donné des adresses mais bon c’était le week-end, c’était vendredi soir et samedi, dimanche, presque tout est fermé. Presque tout était fermé. Sans ressources, sans rien à manger. Vous n’aviez pas du tout d’argent ? Non, pas du tout, pas du tout. Comment vous avez fait alors pour manger ? Ils nous avaient donné un petit déjeuner à sept heures du matin donc on a pris ça et on est resté comme ça jusqu’au soir, sept heures où on est allé là-bas (au foyer d’accueil d’urgence qui les héberge). Et c’était pareil le samedi, le dimanche, et le lundi. Chaque jour, ils passent 12 heures dehors, toujours sans relations ni moyens financiers.Le lundi, ils doivent retourner à la Cité administrative, au S.S.A.E., pour rencontrer une assistante sociale spécialisée dans l’accueil des demandeurs d’asile. On peut mesurer à quel point ils sont perdus et ont besoin d’être accompagnés en constatant que le simple fait de se rendre à ce premier rendez vous leur a paru compliqué :
Comment faire ? Parce qu’on ne connaît pas l’adresse exacte, et après le moyen de transport, comment faire ? Il faut prendre le bus ou bien quel autre moyen pour aller jusque là ? Ils nous ont dit que d’ici c’est pas loin, la Cité administrative c’est à côté. Moi j’ai dit « nous sommes des nouveaux venus ici et même si vous me donnez le chemin ou bien une carte, je peux trouver mais ça sera un peu difficile peut être ».
Finalement, grâce aux explications fournies par le personnel du foyer ainsi qu’un ticket de bus et un plan, ils parviennent à la Cité administrative, et quelques étages plus haut, au SSAE.
Bon, en arrivant là bas on a encore trouvé du monde, il fallait attendre son tour aussi. En arrivant on est entré et on a trouvé des gens et on s’est assis. Après on a vu qu’il y avait un petit compteur avec des numéros. Ils appelaient par numéro et nous on était là, sans savoir donc. Mais ? ah bon. Là je me suis levé, j’ai demandé comment faire pour que les gens puissent nous accueillir ? Ils m’ont dit qu’il fallait sortir et prendre le petit…Je ne sais pas comment vous appelez ça ?
Un ticket.
Oui, un petit ticket. Et là il y avait des gens qui étaient arrivés après nous, qui avaient pris des numéros pendant ce temps, au moins cinq personnes. Comme on ne savait pas je crois qu’on a pris presque le dernier numéro.
On leur donne l’adresse de la Préfecture pour aller se déclarer comme demandeurs d’asile, et aussi celle du PAIO (Permanence d’accueil, d’information et d’orientation) afin de trouver un hébergement plus durable. Le foyer qui les hébergeait jusque là n’étant prévu que pour trois jours, ils ne savent pas où ils dormiront le soir même.
A nouveau, il leur faut repartir vers une adresse inconnue, sans ticket de bus cette fois, ignorant la distance à parcourir et le terme de leur «périple social ».
Ils tentent, malgré la honte, de négocier une entrée gratuite dans le métro, préoccupés car le PAIO ferme à 11H30. Ils parviennent à convaincre un vigile qui les laisse passer. Arrivés au PAIO, la porte est fermée. Ils frappent à un volet et expliquent leur situation à une dame qui déclare ne rien pouvoir faire pour eux et les invite à revenir le lendemain. Monsieur insiste car son épouse est mal en point et ne peut plus marcher : ils décrochent un rendez vous pour l’après midi.
Encore trois heures d’attente, toujours sans manger et dehors, avant d’être reçus au PAIO. On leur explique d’abord qu’ils peuvent renouveler leur hébergement d’urgence pour trois jours en retournant au foyer d’où ils viennent et qu’ils peuvent aller manger au Grand Ramier. Prenant conscience de l’état de santé de Madame, le travailleur social finit par leur trouver un hébergement pour couple, à la Grave.
A 17 H 00, après 2 kilomètres laborieux, ils rencontrent une assistante sociale à La Grave.
C’est leur troisième jour d’errance dans le système social d’urgence et Madame Cabandillo est dans un état de santé grave. Elle n’a toujours pas vu de médecin.
Pour la deuxième fois de la journée ils doivent raconter leur parcours, de leur départ d’Afrique à ce bureau. On leur accorde trois jours d’hébergement qu’ils peuvent prolonger d’un mois en retournant au PAIO, d’où ils arrivent.
Chaque structure fait ainsi son évaluation avant d’accorder une prestation. Des allers et retours inutiles sont effectués.
Le lendemain matin, ils se rendent au point accueil santé (la PASS) qui est fermée : ils doivent revenir à 13H15. A ce moment-là il est trop tard pour aller jusqu’au Grand Ramier pour manger.
Ils attendent l’ouverture de la PASS et se présentent, le ventre vide, à 13H15, mais les huit consultations programmées sont toutes distribuées. On avait omis de leur dire qu’il fallait se présenter à midi et demi, afin de réserver leur place. Ils sont obligés de revenir le lendemain et se présentent, cette fois, à midi. Ils obtiennent les numéros 2 et 3 mais apprennent aussitôt qu’ils ne peuvent être reçus faute de prise en charge par la sécurité sociale (leur dossier n’est pas encore fait). Monsieur Cabandillo craque : il se met en colère et sort de la PASS. Sa femme reste. Malgré tout, le médecin examine Madame, leur obtient un rendez vous en urgence auprès d’un spécialiste à l’Hôpital de Rangueil et leur prescrit des médicaments délivrés sur place, à la Grave.
Ils restent au foyer de la Grave une dizaine de jours pendant lesquels ils doivent sortir le matin et ne revenir que le soir. Les travailleurs sociaux les renvoient ensuite au PAIO pour obtenir un hébergement où ils pourraient rester aussi durant la journée, l’état de santé de Madame étant incompatible avec un hébergement d’urgence limité à la nuit. Grâce au travail du PAIO, le centre Fages les accueille, leur donne de la nourriture et la possibilité de cuisiner leur repas du midi.
Partout il faut faire la queue, attendre : dans les foyers, à la Préfecture, dans les services sociaux, chez les médecins.
Oh oui ! beaucoup de trajets ! disons qu’en un mois je connaissais déjà un peu la moitié de Toulouse, parce que je connaissais déjà Purpan, Rangueil, le Capitole, Marengo (quartiers toulousains). Donc dans un mois, un peu partout quoi. Donc c’était difficile quoi !
Cela prend du temps, de l’énergie et se vit parfois en décalage de ce qui était attendu : des réfugiés pensent être accueillis en tant que tels, or ils sont fondus dans la masse des usagers des systèmes sociaux d’urgence, avec pour handicap supplémentaire leur méconnaissance de la France. Mêmes les plus réalistes, ou les mieux informés, témoignent de leur stupeur. Comme aux autres moments les plus ardus du parcours des demandeurs d’asile, les récits de l’arrivée en France font régulièrement référence à la foi ou à Dieu. Outre l’expression personnelle de la motivation des croyants, ces termes signifient l’absence d’une prise en charge concrète, l’irrationalité du système et l’impuissance relative des personnes en quête d’asile pendant ces premiers temps à Toulouse.
C’était difficile mais ça on savait ça que quand on commence quelque chose au début, c’est toujours difficile. Parce que j’ai eu des expériences déjà dans ma vie, j’ai essayé déjà de commencé des choses et je sais que le début c’est toujours difficile. Malgré… Malgré des souffrances, le trajet tout ça… Mais on avait l’espoir que peut être un jour ça ira mieux et que quelque chose va changer dans tout ça. Et avec cette foi là ça nous a aidé. Ça nous a aidé un peu d’espérer… et, bon…
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Corps et têtes matraqués
Quand moi je rencontre un solliciteur d’asile, c’est quelqu’un qui vient d’un pays ou quelques fois le système de soins n’est pas tout à fait au top, c’est quelqu’un qui, s’il a subi des sévices, de l’emprisonnement ou des tortures a vécu dans son corps des choses graves. C’est quelqu’un qui pour venir jusqu’à nous à pu voyager dans des conditions difficiles où des atteintes à la santé ont aussi pu avoir lieu, et c’est quelqu’un qui, lorsqu’il est arrivé ici, étant données les conditions d’accueil, a connu des conditions de vie avec à la fois des retentissements sur sa santé physique et mentale. A la première rencontre je sais que les gens que je voie ont eu ce cursus qui a déjà matraqué leur corps, et qui a déjà matraqué leur tête.
Un médecin s’occupant régulièrement des migrants
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Un lourd passé
J’ai connu des persécutions, des arrestations et tout ça, c’est ça qui a fait que je puisse me réfugier un peu ailleurs.
C’était… vous n’avez peut être pas envie de détailler, mais c’était des arrestations, des persécutions, des choses violentes, dures ?
Oui, bien sûr. Des choses très très dures que des fois ça fait mal pour exprimer parce que jusqu’à présent j’ai des cicatrices, j’ai des mauvais souvenirs. J’ai même pris des balles dans mon corps, donc voilà… Il y a aussi l’autre histoire, de ma famille disons. J’ai perdu mon père, je ne sais pas réellement si il est vivant ou bien s’il est mort ; mais il a disparu à cause de tout cela, parce qu’il faisait aussi partie du mouvement. Et ma femme aussi a subi des conséquences qui font que jusqu’aujourd’hui elle a de gros problèmes de santé. Elle a subi des viols et tout ça a provoqué des problèmes graves pour lesquels elle devait se faire opérer. Les conditions (médicales) en Afrique ne sont pas vraiment « agréables », elle a subi une intervention mais sans succès. Elle est là et elle a de gros problèmes aussi. Donc tout ça… !
On va pas ouvrir plus « la boîte ».
Oui, ce sont des choses qui font mal quand on les raconte.
Un réfugié politique
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Disparition du Service social d’aide aux émigrants (SSAE)
« Depuis un certain temps ce ne sont pas que des personnes qui viennent pour demander l’asile parce que le réseau s’étant restreint
C’est à dire ?
La disparition du SSAE (service social spécialisés d’aide aux étrangers) notamment a généré une grosse panique qui fait que gens ne savent plus du tout où s’adresser pour des problèmes de base. L’ANAEM n’assumant pas du tout ses responsabilités concernant l’accueil des demandeurs d’asile, les gens se retrouvent complètement perdus et n’ont dans le réseau que les associations qui restent et qui ne sont pas forcément faites pour ça, qui n’ont pas forcément vocation à les aider sur ces terrains-là. Parce qu’on n’a pas forcément les bonnes infos, à la base ce n’est pas la mission.
En matière de logement, de santé…
Voilà, voilà. »
Membre d’une association
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Un dispositif d’accueil déficient
Les demandeurs d’asile, comme les autres, ils nous sollicitent à travers le PAIO (Permanence d’accueil, d’information et d’orientation). Donc moi je suis en poste au PAIO. Ils nous sollicitent sur des questions… Enfin ils viennent sur notre permanence au PAIO, pour des questions, le plus souvent, d’hébergement. Ensuite, pour des questions d’accès aux droits, de type : comment se passe la demande d’asile, où c’est que je suis. Mais aussi pour l’organisation de la vie quotidienne : où c’est que je peux manger, où je peux me laver, où est-ce que je peux subvenir à mes besoins en fait, quels qu’ils soient. Et ensuite des aides matérielles du type : j’ai besoin d’aller à l’OFPRA, j’ai pas de billets de train et puis j’ai pas le droit au travail, etc, etc. Donc c’est à peu près ce type de questions là qu’ils viennent nous poser et auxquelles on essaie de répondre plus ou moins. C’est à dire qu’il y a des manques partout et on essaie, avec des bouts de ficelle d’arriver à quelque chose. (…)
Ensuite pour l’aide à la subsistance ça va à peu près. Bon, maintenant le restaurant social ferme le soir mais avant au moins on pouvait manger midi et soir, pendant la période hivernale, mais là maintenant le soir c’est compliqué.C’est un repas par jour donc.
Voilà c’est un repas par jour (hors période hivernale). Malgré qu’il y ait encore quelques distributions, on peut encore réussir à avoir un petit déjeuner le matin avec beaucoup de débrouille. Mais bon le temps de percevoir tout le réseau, tout le réseau toulousain, c’est pas toujours facile. Voilà à peu près pour les manques matériels.
En matière de transport, tant qu’on est sur le réseau, parce que ce réseau il est quand même assez éclaté sur une ville comme Toulouse.
Voilà. Alors en matière de transport, nous on a quelques tickets de bus à distribuer donc il y a des personnes qui font quand même pas mal de route pour venir nous voir pour chercher des tickets de bus, mais voilà, on va en donner un ou deux. Donc effectivement pour faire le tour des démarches, ça fait des personnes qui marchent beaucoup et qui s’en plaignent beaucoup, enfin nous on a pas mal de plaintes de leur part là dessus. Et c’est vrai, on peut avoir du mal à le percevoir mais c’est clair, ça fait beaucoup de route àfaire tous les jours : passage à la Préfecture, passage à l’ANAEM qui est à l’autre bout, chez nous, au restaurant social, à la Boutique solidarité le matin, ça fait faire un bon tour de Toulouse par jour en fait. Et il n’y a aucune aide en matière de transport.
Un intervenant de l’accueil d’urgence à Toulouse
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Accueilli sans les siens par la famille
Et là, quand j’étais arrivé ici, ma sœur et, le frère de ma femme, et sa sœur qui est ici, qui m’a…
Qui vous ont accueilli.
Oui qui m’a accueilli à l’aéroport à Paris. Et là, en me voyant, ma sœur, en me voyant « Ha, tu t’es maigri toi !, comment t’a fait ? T’étais pas comme ça. Pourquoi, Qu’est ce qu’y a ? », j’ai raconté tout, « Ha, c’est dur hein, comment tu vas faire maintenant ? », j’ai dit « Non, je compte sur toi - parce que j’ai deux sœurs – on va se voir demain, on va se parler avec la famille et tout, et elle a fait une petite fête avec la famille pour que j’oublie un peu mon fils et ma femme, « on va s’occuper de ça , mais autrement aujourd’hui, l’important c’est que tu dois prendre un peu de poids là, parce que tu es maigre comme tout, tu vas rester chez moi et après on va voir ».
Un demandeur d’asile sans papiers
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Seule à l'arrivée
Quand je suis arrivée à Toulouse à l’époque, maintenant je me rappelle, à l’époque c’était à la gare, donc la personne elle était obligée de rentrer, parce que il fait du business, il peut pas rester avec moi, il peut pas me garder non plus parce que lui aussi, il habite même pas ici, donc il m’a dit « Maintenant, je me casse, déjà je vous ai amené de votre pays jusque là, alors maintenant c’est fini », bon il a dit il doit partir, je savais même pas quoi faire franchement !… Je restais sans savoir quoi faire, j’ai pleuré, j’ai pleuré, j’ai pleuré, je,… Des fois j’aime pas me rappeler cette histoire… Je restais là à pleurer, en marchant, heu, je demandais aux gens, mais les gens que je demandais me comprenaient même pas, parce que je parlais Portugais, donc ici, les gens ils parlent français, ils me voyaient comme une folle, ils entendaient rien.
Demandeuse d’asile sans papiers
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A la rue avec son épouse et un bébé
Quand je suis arrivé ici, bon, je suis resté quelques jours heu dehors, on dit dehors parce que j’ai pris un hôtel, l’argent c’est cher comme ça, je suis resté dehors quelques jours, après j’ai contacté le 115, et avec ça j’ai, petit à petit ils ont trouvé un hébergement à l’hôtel. J’ai été hébergé à l’hôtel, j’ai été presque 3 mois, 4 mois, presque 3 mois oui, et voilà, comme ça
Les premiers moments que vous avez passés ici en France, vous étiez donc dans la rue, c’est ça ?
Oui, je suis resté dans la rue, presque 10 jours
D’accord, et alors c’était comment la vie de tous les jours, qu’est ce que…
Ca a été difficile, ça a pas été facile parce que, tu sais avec le froid, et j’avais un bébé qui était très très mal, il est touché, jusqu’à ce jour il tousse,… il est en mauvaise santé, il est pas, c’est à dire,… ça a été pas facile… c’est comme ça.
Quand vous étiez là dans cette situation, vous vous êtes dirigé vers des endroits où on pouvait vous aider ?
Oui, la première, je suis passé par l’hôpital la Grave,… parce que le bébé est très mal, ma femme elle est enceinte, tu sais avec le froid et tout, l’hôpital ils nous ont aussi aidés, ils ont contacté le 115 pour trouver une solution comme ça, voilà.
Un demandeur d’asile sans papiers
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Problèmes de la prise en charge des mineurs isolés
Et le souci c’est qu’on n’arrive pas à mobiliser les gens sur la problématique de la violation, en France, d’un droit fondamental ! L’asile est un droit fondamental. Et moi je me dis aujourd’hui que si on peut commencer à marcher sur un droit comme celui-là, on va marcher sur quoi après ?
Membre d’une association
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Un mineur isolé à la rue
Je suis arrivé ici à Toulouse. Quand je suis arrivé il n’y avait personne. Je suis resté quatre jours à la gare.
Quatre jours !
Oui. Après j’ai croisé quelqu’un, des gens qui parlaient espagnol, des gens de mon pays. Ils m’ont expliqué que je devais me présenter soit au Conseil Général, soit à la Préfecture, quelque chose comme ça. Mais moi comme je ne connaissais pas, je leur ai demandé qu’on me montre au moins où c’est. Ils m’ont amené. Après ils m’ont laissé : « ouais c’est là, si tu veux tu rentres, tu fais comme ça ». Je suis rentré. Après j’ai dit ma situation, ils m’ont dit d’attendre.
C’était à la Préfecture ?
C’était au Conseil Général. Après je suis resté au Conseil Général. Au Conseil Général, ils ne m’ont pas pris le même jour, non. Ils m’ont dit « viens demain ». Moi j’ai dit « où est-ce que je vais aller ? ici c’est comme ça, on n’a pas de place, on ne sait pas où on va te mettre, il va falloir que tu te débrouilles et faire quelque chose pour toi. Comme tu es arrivé ici, comment tu vas faire aussi ? j’ai essayé d’expliquer qu’on m’a abandonné ce jour là, que je ne pouvais rien faire. Heureusement que je suis arrivé ici en plein été, c’était pas l’hiver.
Un demandeur d’asile arrivé mineur en France
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A la recherche d’un toit
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Personnes vulnérables sans logement
Les gens rentrent dans des circuits d’urgence au quotidien, avec les problématiques : que vais-je gagner comme argent aujourd’hui, que vais-je manger aujourd’hui, où vais-je dormir ce soir. On a eu des patients qui dormaient dans des voitures, on a des patients qui dorment dans des parkings, des patients qui dorment dans des garages, des boxs de garage prêtés par… voilà. On a ce genre de situation chez des demandeurs d’asile en fin de parcours. Moi j’ai rencontré un jeune patient schizophrène qui vit dans un garage, avec tout ce que ça peut sous-entendre pour un jeune qui a moins de trente ans. Schizophrène, sans argent, avec une A.M.E. (Aide Médicale d’Etat), donc qui voit un médecin de temps en temps quand il arrive à garder le lien, mais qui vit dans un garage. Voilà. Donc on imagine ce qui peut se produire dans pareille situation. Moi j’avais un patient tuberculeux qui dormait dans une voiture sur un parking.
Un médecin s’occupant régulièrement des migrants
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Plus la précarité est grande, plus les chances d’obtenir le statut de réfugié sont faibles
(…) le CADA on y entre sur critères sociaux et c’est donc quasiment exclusivement réservé à des familles. Et donc hébergement de type CADA(Centres spécialisés dans l’hébergement et l’accompagnement social et juridique des demandeurs d’asile) c’est très compliqué (parlant de l’accès pour les célibataires). Mais c’est très compliqué aussi pour accéder au système d’hébergement d’urgence type hôtel parce que c’est pareil, les critères sont des critères sociaux, des critères d’urgence, et les familles, les mamans seules avec des enfants sont prioritaires, ce qui est tout à fait logique bien sur. Et donc aujourd’hui un demandeur d’asile homme célibataire est en très très grande précarité.
Il est en queue de peloton des critères de l’urgence sociale et du coup…
Complètement, complètement. Et cela a une grosse influence sur la procédure en fait, une très grosse.
C’est à dire ?
C’est à dire que les conditions d’accueil pour eux resteront très dures, très difficiles tout le long de la procédure, tout le long de la procédure. Donc quelqu’un qui n’était déjà pas très en forme au moment de son arrivée et qui a fait son dossier OFPRA dans ces conditions là, va être de moins en moins bien arrivé au recours. Parce que le temps passant, la rue, tous les manques etc… vont faire que ce monsieur ou cette dame seule arrivera au recours dans un état dix fois plus lamentable que celui dans lequel il est arrivé. Et sachant que le recours c’est loin d’être une procédure vaine, puisqu’en 2004 la moitié des décisions positive finale relevait de recours qui ont été acceptés. Donc de cassation de décision de l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides). Donc c’est un enjeu la CRR (instance traitant les recours contre les rejets de l’OFPRA) qui est vachement important. Mais quand ça fait six mois que vous vivez dans la rue, que vous avez accès à pas forcément grand-chose, même les soins c’est limité, quand en plus vous êtes humilié par les institutions systématiquement quand… Je veux dire, vous perdez le peu de chose qui vous restent, c’est à dire le respect de vous même et votre dignité, arriver à une audience publique devant une formation de jugement qui va vous regarder de traviole ou qui ne va pas vous laisser le temps de parler, ça fait mal.
Et y arriver mal préparé ou plus mal préparé que d’autres.
Et puis pas bien, pas bien du tout. Découragé, désabusé, physiquement délabré, psychologiquement… Les gens qui… imaginez ! dans les CADA, avec le suivi qu’il y a, avec l’accompagnement, le fait de se dire « ces gens-là, ça y est, ils ont un toit sur la tête, ils sont même en appartement des fois, ils ont une A.S. (assistante sociale) qu’ils peuvent interpeller quand ils veulent, etc, enfin bref. Regardez au bout du compte dans quel état ces gens là se trouvent quand même. Les cauchemars qu’ils font systématiquement toutes les nuits, les pétages de plombs, la perte de repères, alors qu’ils sont entourés, on peut penser que… imaginez quelqu’un qui est dehors quoi !
Membre d’une association
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Prise en charge à minima et paix sociale
Donc il y a à la fois tout un jeu paradoxal qui est que l’on veut bien que les personnes isolées soient dans les centres d’hébergement, d’autant plus les demandeurs d’asile, et d’un autre côté on ne leur reconnaît pas une véritable existence.
Donc vous êtes de toute façon en plein sur cette contradiction d’une population qui existe mais qui est sans droits.
Qui est sans droits, mais dont la loi nous demande, ou en tout cas dont les référentiels professionnels, les référentiels faits par le Ministère nous demande de les accueillir. Donc c’est là que réside toute la difficulté. C’est à dire qu’il y a une commande de l’Etat, une commande publique qui dit « voilà, il y a deux types de prestation et vous, vous émargez sur les prestations d’urgence et de fait ces prestations sont valables pour tout public entrant sur le territoire, quelle que soit son origine ou quel que soit son statut. Et à côté de ça, la réalité de terrain c’est que ces gens-là, on sait très bien qu’ils n’ont pas de futur, la plupart du temps ils auront des rejets des demandes d’asile, des demandes qu’ils font : ou ils sont en recours, ils sont en ARPF (arrêté préfectoral de reconduite à la frontière, faisant suite à un refus de séjour ou d’octroi du statut de réfugié par exemple ; stade auquel les personnes sont aux portes de l’expulsion du territoire, même si des revirements sont possibles), et on sait que les stratégies qu’on va développer, de réinsertion, autour d’eux, ne vont pas fonctionner parce qu’il n’y a pas d’avenir, il n’y a pas de droits ouverts, si ce n’est l’A.M.E. (aide médicale Etat), ou un visa qui va expirer sous peu de temps. Donc de fait, c’est pas une contradiction, c’est… Nous on est là pour… On n’est pas un filet de sécurité mais c’est une façon de cacher une réalité – à mon avis hein, c’est une vision très personnelle – mais c’est une façon d’empiler les gens à un endroit pour arriver à dire à un moment « ils ne sont pas à l’extérieur ». Donc on peut très bien considérer que nous aussi on est dans une gestion d’un dispositif, pas sécuritaire, mais en tout cas…
De contrôle.
De contrôle et médiatique, puisque de toute façon dès que les personnes entrent dans l’établissement, nous on les déclare à la DDASS, pas pour le fait de les déclarer mais parce que nous on récupère de l’argent sur les gens qu’on fait rentrer. C’est à dire que les gens qui sont admissibles à l’aide sociale vont générer de l’argent pour nous. Donc de fait on est obligé de les déclarer à la DDASS quoi. Et jusqu’à présent on n’a jamais eu la DDASS qui nous appelle un jour pour nous dire « voilà, Mr X, qui est demandeur d’asile, il ne faut pas le prendre », ou « vous n’aurez pas la recette en regard de la personne ». Donc jusqu’à présent on ne s’est jamais trouvé dans cette situation et je crois qu’on ne s’y trouvera pas. Parce que l’Etat a besoin de lieux comme ça un peu ressource où les gens peuvent venir, être hébergés, et entre guillemets « ne pas poser de problèmes ».
Un intervenant de l’accueil d’urgence à Toulouse
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Un statut défavorable au quotidien
On parlait d’accès au travail mais il y a aussi l’accès à une formation, à la culture, à plein de trucs. Avoir un compte en banque quand tu n’as plus ton APS (autorisation provisoire de séjour) c’est la lutte.
La nana elle est déboutée (demande d’asile rejetée), son récépissé (autorisation de séjour provisoire) n’est plus valide, elle a de l’argent sur son compte en banque mais elle ne peut plus le retirer.
Parce qu’elle n’a pas de pièces d’identité.
On va trouver une solution mais il faut appeler des syndicats, appeler la bonne personne… Parce que là c’est clairement un problème au guichet.
Un guichet où ça passe, un guichet où ça ne passe pas, question de personne.
Va chercher un recommandé à la poste quand tu as envoyé ton recours à la CRR (Commission de recours des réfugiés), que la préfecture ne t’a pas renouvelé l’APS (autorisation provisoire de séjour) par qu’elle n’a pas reçu le dépôt du recours, que c’est justement ce dépôt du recours que tu vas chercher à la poste, mais comme tu n’as pas d’APS, le recommandé tu ne peux pas le retirer.
Et donc il repart à l’expéditeur sous quinze jours.
Oui et puis ce que tu dis : c’est vachement important d’avoir accès à une vie normale, à la culture, à une formation, sans parler des moyens pour vivre qui sont plus que limités.
Membres d’une association
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Pouvoir demander l’asile et être reconnu
Parvenir à déposer sa demande
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Une procédure oublieuse de l’état des demandeurs d’asile à l’arrivée
Outre la précarité que ça engendre pour les demandeurs d’asile, sur ces procédures exceptionnelles qui deviennent la règle, qu’est-ce qu’il y a d’autres comme inconvénients pour eux ? quel autre problème ça peut causer ?
En fait c’est… Je dirais que c’est le pire. Parce que c’est des gens qui ont vachement souffert dans leur pays donc en fait, ils sont partis déjà dans un état psychologique, physique qui n’était pas génial. Le trajet qu’ils font pour venir jusqu’ici se passe souvent dans des conditions abominables. Ils ne sont pas tous en liaison directe avec Paris en une heure pim poum. Ça peut arriver mais il faut être conscient que le trajet pour arriver jusqu’ici se passe souvent dans des conditions abominables et il se passe pendant ce trajet des choses qui peuvent être graves aussi et qui font que quand la personne arrive ici elle est déjà doublement meurtrie. Rajouter à ça les conditions d’accueil, qui sont nulles ! nulles dans le sens : rien, zéro. Et bien c’est le pire. Parce qu’on leur demande à la fois en vingt et un jours de faire un travail qui consiste à détailler les persécutions qu’ils ont subies, les motivations de leur fuite, de leur demande, et cela suffisamment pour que la demande ne soit pas considérée par l’OFPRA comme manifestement infondée ; donc ce n’est pas trois lignes qu’il faut écrire c’est vraiment quelque chose de très consistant. Alors qu’ils sont à ce moment là dans un état psychologique et physique complètement dégradé, et qu’ils sont pour beaucoup, pour une majorité, dans la rue, sans accès aux soins, sans un rond pour manger, sans pouvoir s’habiller. Enfin… voilà.
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Une administration plus dure encore que la loi
On ne devrait pas aller au contentieux aussi souvent pour des situations de droit. Alors le T.A. (Tribunal administratif) nous suit, dit « ok, oui », casse la Préfecture, mais le problème c’est que tout ça c’est quelque chose de vachement lourd à porter pour les gens. Donc c’est vrai qu’agir à la source c’est quand même vachement plus efficace. Et bon c’est quelque chose que je m’efforce de faire aussi dans d’autres villes de France, essayer de prendre contact avec la Préfecture, de leur mettre les problématiques sous le nez, de voir comment ça peut être réglé. De vérifier si la direction du Service des étrangers est vraiment au courant de ce qui se passe au guichet, et des fois on a des drôles de surprises, on se rend compte que le Chef de service ne sait pas forcément les illégalités qui sont commises au guichet. Et quand il en est averti et bien cela peut aussi changer les choses, et du coup « paf », il y a des situations qui ne seront plus bloquées. Donc oui c’est plus efficace. Le problème c’est « encore faut-il qu’on ait accès au dialogue ». Et le problème c’est qu’ici ça a été coupé.
Et du coup, conséquence…
Du coup, si, je continue à agir au niveau du guichet en les matraquant et quand il y a des illégalités qui passent je fais des courriers à la Direction du service des étrangers et maintenant je vais finir pas copier ça au Préfet. Voilà, il faut qu’il y ait quelque chose qui se passe parce qu’on est dans la violation des textes quand même.
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Communiquer sans interprète ?
Au niveau Préfecture, alors là c’est niet, puisque la Préfecture considère qu’elle n’a absolument pas à assumer cette responsabilité. Il n’y a que dans le cadre des demandes d’asile en centre de rétention où là le texte dit expressément qu’on doit fournir un interprète à la personne (éventuellement les textes européens, mais pas français. En pratique pas d’interprète pour les demandes d’asile en rétention). Mais la Préfecture ne se sent absolument pas concernée. Le gars du guichet lui, se voir expliquer en bon français un formulaire de deux pages en sachant très bien que la personne à qui il parle ne le comprend pas, il n’y a pas d’état d’âme hein ! C’est pas un souci pour lui. Ça l’empêche pas de dormir. Je leur ai posé la question et bon j’ai eu ce genre de réponse.
Dans le cadre de la procédure Dublin, à partir du moment où quelqu’un n’a pas de visa quand il se présente à la Préfecture, on le met systématiquement en procédure Dublin et cette procédure oblige la Préfecture à faire un entretien systématique. Et cet entretien qui est un questionnaire quand même assez long auquel la Préfecture doit répondre avec le demandeur, et bien la Préfecture de la Haute Garonne a indiqué au mois de décembre (2005) à ces gens-là que voilà, ils sont convoqués à un entretien, que s’ils veulent ils peuvent venir avec un interprète, mais que la Préfecture ne leur fournit absolument pas, et que s’ils viennent sans interprète, ils seront censés comprendre le déroulement de l’entretien.
Donc quand ils ne comprennent pas, qu’est-ce qui se passe à la Préfecture ?
Ça c’est illégal. Dons nous ici on a réagi, « un » en faisant un courrier à la Direction de la réglementation ici en leur disant « il y a quand même une grosse contradiction dans ce courrier ». Alors le problème c’est que ce n’est qu’une convocation donc on ne peut pas aller au tribunal administratif avec ça, mais enfin bon on peut protéger les gens. Et la deuxième chose c’est que j’ai quand même appelé le gars du guichet en lui disant « mais attendez, honnêtement là, vous avez convoqué des Arméniens la semaine prochaine, vous parlez arménien ? Ils viendront sans interprète parce qu’ils n’ont pas les moyens et ils ne connaissent personne. Donc comment vous allez faire! Franchement. » Et le gars il m’a dit : « mais ce n’est pas mon problème ».
Ce qui veut dire qu’il remplit lui-même le questionnaire (l’agent administratif).
Ça veut dire qu’effectivement on aboutit à des situations complètement folles quoi. Le gars il ne pourra pas remplir son questionnaire. Donc qu’est-ce qui se passe à ce moment là ? Sachant qu’on ne peut pas assister à ce genre d’entretien. Donc effectivement on peut supposer que c’est le gars qui va remplir le questionnaire. Mais dans ces cas-là il y a quoi ? Il y a abus, il y a illégalité, il y a plein de choses.
Pas de possibilité de contentieux là-dessus ?
Si ! contentieux possible, à partir du moment où la personne serait mise sous procédure Dublin par exemple, avec un arrêté de transfert vers la Pologne ou je ne sais pas où, à ce moment là on pourrait faire casser l’arrêté de transfert sur le défaut d’information. Puisque le règlement Dublin lui exige que toute la procédure puisse être comprise par la personne, et le texte dit « dans une langue qu’il comprend ». (Après avoir été sanctionnées par des tribunaux administratifs, ces pratiques préfectorales ont évolué en intégrant des interprètes au cours de la procédure, de manière disparate d’un département à l’autre).
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Obstacles administratifs et précarité
Pour ce qui est de l’accès à la procédure, vous disiez tout à l’heure que c’était le premier problème.
Ah oui, ah oui !
Vous parliez d’obstacles, vous pourriez m’expliquer un peu tout cela ?
Ne pas accéder à la procédure c’est ne pas pouvoir faire une demande de protection et comme on doit passer par la Préfecture il est évident que… D’ailleurs c’est comme ça qu’on a fait tomber le chiffre de la demande à moins 34 % quand même. Cette année on est à moins 34 % de demande d’asile en France sur un an. (…)
On a aujourd’hui une pratique préfectorale qui a abouti à ce que la situation de droit est devenue exceptionnelle. Sur dix demandeurs qui vont se présenter, il y en a un qu’on va mettre en procédure normale et neuf qu’on va réussir à caser en procédure exceptionnelle (c’est une expression plus qu’une statistique), donc avec, déjà pas d’accès au séjour. Alors que ce soit Dublin (un autre pays européen est responsable du demandeur d’asile), que ce soit procédure prioritaire. Ce sont des gens qui, s’ils accèdent à la procédure, y accèderont avec beaucoup moins de garanties et surtout pas d’accès au séjour, donc pas accès aux droits économiques et sociaux. Donc précarité, précarité, précarité.Pendant combien de temps ils peuvent se trouver dans cette situation de précarité ?
Alors tout dépend la vitesse de réaction des préfectures puisqu’ils peuvent s’amuser à faire revenir quelqu’un comme ça plusieurs fois, une semaine, sur une semaine, sur une semaine, avant de lui dire qu’en fait « non ». Donc pendant tout ce temps là évidemment la personne n’accède à rien. Donc en moyenne je dirais, pour quelque chose de tout à fait classique, une procédure normale, ici on en est à trois semaines avant la délivrance de l’APS (autorisation provisoire de séjour) par rapport au premier rendez-vous, donc ça fait un mois, plus trois semaines pour faire le dossier, le temps que l’OFPRA fasse le refus d’enregistrement, ces gens-là restent deux mois, deux mois et demi, facile, sans rien. Pour une procédure tout à fait normale. Sachant que la Préfecture de la Haute Garonne n’est pas dans les clous puisque le texte européen donne quinze jours aux Préfectures pour délivrer l’APS à partir du moment où la personne se présente au bureau. Ici on en est à 21 jours donc on n’est pas dans le respect des textes. Après pour les gens qu’on veut mettre en procédure Dublin et bien ça dépend, ça dépend sur qui on tombe au guichet. Par exemple pour les pays d’origine sûrs, il y a des Préfectures où on leur dit : « ah mais non, vous vous ne pouvez plus demander l’asile, c’est plus possible, vous êtes pays d’origine sûr. Beaucoup ne savent pas encore, ou n’ont pas encore compris, ou n’ont pas envie de comprendre que ces gens là peuvent toujours demander l’asile même si c’est en procédure prioritaire. Donc ces gens-là, soit ils vont pouvoir voir une institution qui va les remettre sur les rails en disant « si si vous pouvez, même si vous êtes en procédure prioritaire la Préfecture doit vous donner le dossier etc… Mais le temps que tous ces allers et retours se fassent, et bien voilà ce sont des situations de précarité qui traînent, des gens dans la rue, avec des enfants.
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Des délais trop courts
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La pression des délais dès l’arrivée : mission impossible
Je trouve que c’est assez dramatique que dans les premiers jours de leur arrivée en France, les demandeurs d’asile soient, on peut le comprendre, obnubilés par la question de leur hébergement, puisque c’est l’hébergement qui va conditionner les conditions dans lesquelles ils vont pouvoir accéder à la procédure. Donc les premiers jours qu’ils passent ici sont les plus précaires. Les conditions de vie sont les plus précaires : ils ne parlent pas la langue, ils n’ont pas le toit, ils n’ont pas le couvert, ils n’ont pas les ressources pour courir à droite à gauche dans Toulouse et, à l’intérieur de ces 21 jours, de ces premiers jours, il faut qu’ils aient la tête sur les épaules, tout bien organisés, tous bien prêts pour pouvoir tout bien expliquer, et en français, pour faire leur dossier à l’OFPRA.
C’est mission impossible !!
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Une procédure inadaptée à la précarité des demandeurs
Après pas mal de difficultés pour l’accès à la procédure, c’est super compliqué.
Qu’est-ce que tu entends pas accès à la procédure ?
Toute la démarche. De aller à l’asile, heu au guichet d’asile à la Préfecture pour retire le dossier, connaître les délais, le remplir en français, avoir accès à un interprète, toute la procédure d’asile. Qui est méga compliquée techniquement, donc si tu n’es pas accompagné par des gens compétents et bien c’est super compliqué, enfin voilà, tu passes à côté. Et après qui est cher, parce qu’il faut faire traduire les documents, il faut te payer un avocat si tu es rentré sans visa, il faut monter à Paris au moins deux fois : une fois à l’OFPRA et une fois à la Commission des recours.
Ou avant pour voir l’avocat aussi (certains avocats spécialisés et connus ont leur cabinet à Paris).
Eventuellement. Et donc c’est une procédure qui est vachement coûteuse et à défaut de prise en charge pour tout le monde il y a plein de gens qui se retrouvent sur le carreau.
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Etre obligé d'écrire son histoire en français, et de la raconter
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Il m'a fallu du temps pour dire ce que j'ai vécu
Même quand je suis arrivée, il fallait que j’aille chez le psy, je ne peux pas expliquer ça, à un homme surtout, c’est trop dur pour moi d’expliquer ce que j’ai vécu. C’est trop dur pour moi.
Donc vous avez réussi quand même un peu à l’OFPRA à sortir un peu ?
Oui, j’ai sorti un peu, mais par exemple mes avortements, je n’avais pas dit ça parce que c’était trop dur. J’ai parlé en bref. Je n’avais pas pu parler de mon avortement surtout. De mon viol ça a été trop dur.
Donc ils vous ont refusé votre demande ?
Oui parce que, ils ont dit que soit disant je n’avais pas… Quand je suis arrivée j’avais une haine en moi qui ne me permettait pas de m’exprimer vraiment. Et c’est ma voisine qui m’a dit « vraiment, il faudrait t’en sortir, il faudrait faire sortir ce que tu as vécu pour que ça puisse passer, il faudrait parler de ça. » Et quand je suis arrivée en France, je ne pouvais pas. Là j’arrive un peu à parler de ça, avant je n’y arrivais pas.
Et pourquoi à votre avis vous y arriver maintenant ?
Parce que j’ai fait quelques séances de psy. Et puis je parle souvent avec ma voisine, elle me dit que ça passe, qu’ici je suis en sécurité. Parce que chez nous on est pas vraiment en sécurité. Parce que tu te rends compte, on te fait un truc comme ça et tu ne peux pas porter plainte, tu as peur. On peut te faire une fausse convocation, tu peux y aller mais on peut te convoquer pour t’enlever et puis te tuer. C’est trop dur. Mais ici je vois qu’il y a la sécurité, je suis en sécurité. Je peux sortir à n’importe quelle heure, rentrer à n’importe quelle heure. Je suis en sécurité. Là bas on n’est pas en sécurité.
Donc on a parlé de l’entretien, comment ça c’était passé à l’OFPRA, et à la CRR (Commission de recours des réfugiés) ça c’est passé comment ?
A la CRR c’était trop dur. J’avais préféré parler dans ma langue, le lingala, parce qu’il y avait beaucoup de gens dans la salle, j’étais trop hébétée. Je me suis dit, il se peut qu’il y ait des gens ici qui.. il faut que je parle en lingala, pour ne pas être…
Comprise.
Comprise par tout le monde quoi. Il y avait l’interprète, je lui avais demandé de parler vraiment en bref, qu’elle n’explique pas tout. Et elle m’a dit que non, qu’elle devait tout traduire (elle ignorait qu’elle pouvait demander le huis clot). J’ai expliqué, j’ai fait mon récit. Quand je suis sortie de là, j’ai fait ouf ! J’ai regardé les gens qui étaient là, heureusement je ne les connaissais pas. C’était à Paris et je suis de Toulouse. J’avais une honte en moi quand je parlais, c’est comme si tout le monde avait les yeux braqués sur moi. Et puis c’est comme si j’avais une humiliation, je parlais et puis je… Bon, c’était trop dur pour moi de parler de ma vie comme ça, de ce que j’avais vécu, et puis de…
Et là vous continuez à faire des séances avec un psychologue ?
Non, j’ai arrêté.
Pourquoi vous avez arrêté ?
Parce que j’avais une pressentiment… ça m’a aidée mais on dirait que je, je, je me poignardais encore ma plaie quoi. Parce que le fait d’aller parler, parler, parler de ça, c’est… Je me suis dit « j’arrête ». Je ne pourrais jamais oublier ça. Même si je fais des séances, c’est une histoire, c’est pas un rêve. Vous voyez ? C’est une histoire que j’ai vécue et ça reste dans ma vie, ça reste là. Dans ma tête, je mange avec, je dors avec, je marche avec, je ne peux pas oublier ça.
Demandeuse d’asile en attente d’une réponse
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Exprimer des expériences douloureuses ?
Ce que l’on voit, nous, à la consultation c’est plusieurs types de réaction. On a des patients complètement mutiques qui sont dans l’incapacité d’évoquer clairement et précisément ce qui leur est arrivé alors que c’est un élément très important, d’être précis dans la description des traumatismes subis, et d’être précis dans la description physique des lésions qu’on peut éventuellement observer. On a des patients qui ne peuvent pas dire. Ou qui décompensent en le disant, qui pleurent, qui remettent l’entretien à plus tard, qui… donc ça on le constate.
Un médecin s’occupant régulièrement des migrants
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Parler des traumas, une grande épreuve
L’expérience me montre, et puis mes lectures, que parler des traumas, c’est des grandes épreuves qui ont peu de valeur thérapeutique. C’est pas parce qu’on va dire en quelques séances, en quelques mois, ce dont on a souffert qu’on va aller mieux. C’est une vue de l’esprit. La délivrance des traumas, comme ça brut de pomme, ouvrait des hémorragies chez la personne qui fait plein d’effort pour mettre des pansements sur ces hémorragies, ou des points de compression quand elle y arrive. Ça lui fait des maux de tête les points de compression, ça ne guérit pas. Donc on envoie un psy. Mais si c’est pour enlever le point de compression, l’hémorragie revient.
Oui, toutes les défenses sautent.
Toutes les défenses sautent, c’est complètement archaïque, c’est complètement effondré et elle n’a plus de contrôle. Donc ça c’est très dangereux de penser et de proposer aux demandeurs d’asile de parler de leur expérience.
Une psychologue spécialisée
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Comprendre que l'obligation de se raconter est violente
Les plaintes somatiques sont infinies, lancinantes répétitives et terribles. Entre un corps hystérisé, par exemple avec des démonstrations d’évanouissement, ou des cris, entre ce corps là qui s’exprime là dessus, le corps qui ne se nourrit plus, du tout, le corps qui a des blessures à la tête qui n’existe pas d’après les collègues médecins, entre les dysfonctionnement de la peau, les dysfonctionnements sexuels. Le corps parle, parle, parle. Par la parole. Parfois aussi il parle en acte (mais ça c’était au CADA les évanouissements, pas ici au cabinet). A partir de là, techniquement, moi je ne suis pas dans la psychanalyse avec ces gens là mais ma formation psychanalytique m’aide à les aider. J’entends la place de l’inconscient. Que tu sois avec des traumatismes liés à des persécutions ou pas, ton inconscient est ton inconscient. Moi j’en suis sure. Donc l’inconscient d’exprime et s’exprime au détriment du sujet, et lui joue des tours pendables. Donc moi je l’entends. Je travaille beaucoup avec les rêves par exemple. Je propose : « vous rêvez ? ». Quasiment tout le monde me dit « oui, j’ai des cauchemars ». « Vous voulez me raconter quelque chose ? » Et là il n’y a pas autant de défense par ce que ce n’est pas la réalité. On ne va pas demander où est-ce que vous avez été arrêté, comment ça s’est passé ? Tu ne poses pas ces questions, sauf quand tu fais de la demande d’asile, là c’est différent et d’ailleurs dans ce contexte les gens acceptent, puisqu’ils savent pourquoi. Mais dans un contexte d’aide psychologique tu n’as pas le droit. Pour moi, pour mon éthique. Parce que l’autre est sujet de son histoire, ce n’est pas moi.
Une psychologue spécialisée
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Un mineur qui ne peut dire
La problématique des mineurs c’est qu’ils ont un récit dont en fait ils ne peuvent pas se départir, psychologiquement. C’est à dire que, l’adulte, si vous leur dites que le récit n’est pas très cohérent, ils peuvent entendre, et ils vont chercher des moyens de preuve, ils vont chercher. Ils vont même dire « qu’est-ce que je dois dire ? ».
Ils vont être en capacité d’adapter le récit
Voilà. De rentrer dans le détail.
De circonstancier.
Voilà. L’enfant en fait, y compris l’adulte qui se prétend enfant parce qu’il y a aussi peut être cette problématique là, il est pris entre ce qu’on lui a dit de dire, voire sous la menace pour certains. Je pense à des Angolais notamment. Et le fait qu’ici on lui dit que ce n’est pas cohérent, on lui dit que c’est dans son intérêt par exemple de mieux expliquer tel ou tel élément, qu’il n’est pas en mesure de l’expliquer parce que ce n’est pas forcément son histoire. En fait il est dans un dilemme qui à mon avis doit être très lourd à porter.
Vous pouvez préciser quand vous dîtes « ce qu’on leur a dit de dire », j’imagine que ce sont les histoires qui peuvent être un petit peu préparée…
Oui. Alors je pense par exemple… J’ai eu le cas d’un jeune Angolais, c’était il y a deux ou trois ans où, outre le problème de la minorité qui se posait, qui avait été remise en question. Moi je l’avais eu à travers le problème de la minorité, pas de la demande d’asile. En fait ce jeune avait été placé et le Conseil Général prétendait qu’il était mineur (se trompe, veut dire « majeur »). Du fait que le conseil Général prétendait qu’il était majeur, parce qu’il y avait eu une radio osseuse (technique imprécise permettant de déterminer l’âge à partir d’une radiographie), à partir de là en fait il avait un problème d’identité. Lui maintenait qu’il était mineur et en fait on remettait en question cette minorité. Et en discutant de ça, et avec le suivi psychologique qu’il a eu, on a été amené aussi à parler de sa problématique dans son pays. Où, à savoir qu’en Angola on lui contestait aussi son âge pour lui permettre d’être enrôlé (en tant que soldat). Donc lui on le grandissait là-bas pour permettre de l’enrôler, ici on lui disait « vous êtes plus que ce que vous prétendez ». Enfin bref, il était tout le temps remis en question. Je dis que ce jeune là, par exemple, il était pris dans son histoire, il était figé dans son histoire, il était incapable d’élaborer un récit parce que, ayant été enrôlé de force, il avait été amené carrément à assister à des exécutions d’autres jeunes et il avait pu être libéré contre la parole de ne rien dire, et contre la menace d’exécution sur sa personne s’il révélait, en partant du camp militaire où il avait été enrôlé… on lui avait dit on te libère – par un réseau – mais on t’avertit que…
Si tu parles…
Voilà. « Tu es exécuté, etc… ». Il avait été témoin de trucs tellement atroces qu’il était dans une angoisse qui faisait qu’il ne pouvait absolument pas sortir de ça quoi.
Une avocate spécialisée
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Construire un récit de vie, dans l'urgence, avec un interprétariat de fortune
Le problème c’est quand la personne elle a déjà fait le premier dossier en préfecture, état civil et tout ça, et qu’elle a déjà retiré le dossier OFPRA et qu’elle est dans le délai de 21 jours (pour compléter ce dossier et rédiger son récit en français). Là ça pose clairement problème parce que tu es pris par le temps. Et souvent, sur le récit, on passe à côté de pas mal de choses quand même.
Et il n’y a pas moyen d’envoyer ensuite des précisions sur le récit.
Si. Mais le problème c’est que ça ne soit pas contradictoire avec ce que tu as déjà envoyé au début. Et d’avoir un interprète fiable.
Le problème c’est de ficeler un récit cohérent, tout ça d’emblée.
Si tu galères sur la langue il faut essayer d’être concis.
Est-ce qu’il y a quand même des interprètes qualifiés qui existent ? des interprètes il y en a, assermentés par exemple, il en existe.
Oui mais c’est payant !
C’est payant. Et comme moyens financiers pour les payer vous n’avez aucune ressource ?
Non.
Vous n’avez pas de possibilités, d’aides exceptionnelles, que dalle ?
Non.
C’est clairement soit des amis des personnes, soit la famille, soit des bénévoles (de l’association) qui vont parler une langue. Voilà.
On a des bénévoles quand même qui parlent plusieurs langues.
Soit vous passez par une tierce langue.
On fait souvent des demandes en anglais, avec toutes les personnes du Nigéria, tout ça, c’est l’anglais quoi. Et donc avec leur niveau d’anglais, notre niveau d’anglais.
Il y a des incompréhensions.
Là c’est sûr que tu passes à côté de plein de choses.
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Problèmes d’interprètariat et incompréhension à l’OFPRA
Parlant des notes prises par l’officier de protection lors de l’entretien :
En fait on perçoit tout, dans ces notes. Parfois c’est manuscrit, parfois c’est… On perçoit tout. Par exemple pour un mineur on va voir tout de suite s’il a pris en compte la minorité. Est-ce qu’il en fait état à un moment donné. Souvent il n’en fait pas état. Il ne se dit pas « ça c’est passé l’enfant, le jeune avait quinze ans. Donc ce n’est pas la même situation. Alors qu’ils sont formés pour, et alors que le guide de procédure de la Convention de Genève qui avait été édité par le H.C.R.(Haut commissariat aux réfugiés) il y a très très longtemps, prévoyait de prendre en compte le doute, etc… pour les mineurs isolés. Donc ça pour des mineurs c’est important déjà. Après pour des majeurs il y a tout le problème de l’interprétariat à l’OFPRA. Dans quelles conditions se déroule l’entretien. Combien dure l’entretien, c’est noté. Qui était l’interprète ? Est-ce que c’était l’officier de protection lui-même ? Est-ce que c’était un autre interprète ? Dans quelle langue on était ? Je parle de gens qui parfois ont fait trois pays différents. Ils ne parlent plus la langue d’origine. Alors, nationalité azérie, on donne un Azerbaïdjanais, non ! La personne a vécu dix ans en Turquie, elle ne parle plus que le turc. Je parle aussi pour les Azéris Arméniens couples mixtes, il y a eu, parce que j’ai beaucoup de dossiers là-dessus, beaucoup se joue là-dessus dans le sens où il y a eu : « Madame, vous dîtes que vous êtes d’origine arménienne, que votre conjoint est d’origine arménienne, vous êtes de nationalité azérie, vous dîtes que vous avez été persécutée en raison de l’origine arménienne de l’autre, par exemple, ou de vos origines arménienne à vous, démontre-moi vos origines arménienne. Je n’ai pas d’acte de naissance, alors parlez-moi en arménien. » Parfois il n’y a même pas la question « parlez-moi en arménien. » Mais l’Officier de protection va noter « elle n’a aucune connaissance de la culture arménienne, elle ne parle pas arménien. » et on s’aperçoit qu’il n’y a pas eu la question sur le sujet. Des choses énormes, qui permettent à la C.R.R. quand même de balayer un certain nombre d’incompréhensions ou de malentendus.Une avocate spécialisée
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Face à ceux qui décident
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La peur de se tromper
Donc le 8 j’étais là bas, on a fait une discussion pendant 1 heure 30 là… Et c’est le comble que on peut pas regarder les dossiers qu’on a fait, il faut bien se…
…Souvenir
Se souvenir de ce que vous avez fait dans le récit, même la date, surtout. C’est la question qui se pose c’est que… comme un cercle vicieux là hein, une question, après il va retourner la même question comme ça, et il faut le, il faut que vous donniez la réponse bien exacte, la date bien exacte, mais quand même tout le monde peut oublier quelque chose (…)
Il y a des gens qui me disait « Ha, si tu ne répond pas, , si le monsieur qui va te questionner ne… comment on dit ça ? Ne le satisfaire pas (Si le monsieur n’est pas satisfait), donc tout de suite tu vas à l’aéroport, pour rentrer à Madagascar, j’ai dit « Quoi ?! Y a ça ?», »Oui, oui »
C’est qui qui a dit ça ?
Un copain là qui me disait comme ça, j’ai dit « Non, c’est pas vrai ?! (…)
Moi aussi quand je parle je n’arrête pas, je me dis que si j’arrête, il va me questionner encore quelques questions, donc il faut que je me force, à cette question, à faire le plus long possible, pour avoir le temps, et après il m’arrête, donc « Quand est ce que cous avez fait comme ça ? » et … Ha, mais c’est dur hein !!… C’est dur mais pff, là, comme je suis arrivé la première fois ici, j’ai dit, je peux pas supporter du tout, comment je vais faire ?, j’ai prié toujours hein, même au lit, le matin, le soir, là, même en ce moment hein, quand je vis là, j’ai dit « Ha comment je fais pour voir mes enfants et ma femme ? »
Et je peux vous demander, par rapport à l’OFPRA, vous avez réussi à bien vous faire comprendre ?
Moi, quand je, je sais parler en français, mais il faut que je réfléchisse un peu avant de répondre, mais là, quand je suis à l’OFPRA, je parlais comme ça, comme ici entre nous.
Un demandeur d’asile sans papiers
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Stressée et incapable de réagir
Moi j’étais tout le temps sous pression. J’étais tout le temps en défense. Dès que quelqu’un me fait quelque chose, je pleure.
Dès que quelqu’un faisait quoi par exemple ?
Une fois j’étais dans le bus, il y avait une dame en face de moi, elle s’est approchée et, je suis sure qu’elle n’a pas fait exprès mais j’étais tellement dans le coup, tu vois le mal partout, comme si tu étais stressée partout. Elle est venue, elle est montée sur mes pieds. J’ai pas pu lui dire « mes pieds sont sous tes pieds », j’ai commencé à pleurer. Une autre dame était en face de nous et lui a dit « mais vous êtes sur les pieds de la dame ! » J’ai compris en elle qu’elle ne s’en était pas rendue compte. Après je me suis dit « là, il faut que tu te réveilles, tu es devenue folle ». Tu ne peux même pas réagir.
Réfugiée politique
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Grand oral et incompréhension des motifs de rejet
A l’OFPRA il n’y avait que moi et l’assistante sociale qui connaissait bien mon histoire, donc elle était à côté de moi, avec un monsieur (l’Officier de protection de l’OFPRA qui mène l’entretien). Mais à la Commission de recours (devenue Cour nationale du droit d’asile) il y avait plein, plein de monde. J’étais seule. J’étais seule. Je parlais toute seule. (d’autres demandeurs sont accompagnés d’avocats). Madame la juge qui était devant moi m’a demandé si ça me dérangeait de raconter mon histoire avec les gens qui sont derrière moi, parce que mon histoire est un peu bizarre. Alors moi j’ai dit « Oui, oui, ça me dérange, ce serait mieux d’être seule » parce que sinon j’aurais eu honte. Elle a demandé aux gens derrière moi de sortir et ils sont sortis (l’obtention du huis clôt n’est pas systématique). On était avec les juges. Il y avait trois messieurs devant moi, l’autre qui a produit les conclusions, et la traductrice.
Et vous l’avez fait en français ou avec la traductrice ?
Non, moi je voulais le faire en français, mais comme il y a des mots que je n’arrive pas à prononcer en français, j’ai préféré bien m’exprimer en portugais, comme ça la dame qui était à côté de moi pouvait traduire correctement. Mais je comprenais bien tout ce qu’elle disait. Quand elle disait une chose que je n’avais pas dite, je disais « non, non, non, je n’ai pas dit ça. J’ai dit ça, ça et ça. » Et quand on me posait des questions, je comprenais. J’avais simplement besoin de l’interprète pour exprimer ce que je disais mais sinon je comprenais tout.
D’accord. Et ça a été quoi les motifs du rejet ?
Jusqu’à aujourd’hui, je n’ai même pas eu le temps de lire cette histoire (le rejet qu’elle a pourtant reçu depuis longtemps). Jusqu’à aujourd’hui, je ne sais pas quel était le motif. Parce quand j’ai reçu la lettre, quand j’ai vu seulement « rejet », « demande rejetée », j’étais un peu en colère. Jusqu’à aujourd’hui, je suis en colère. Je ne sais pas pourquoi, je n’ai pas pu…, je n’ai jamais lu ça.
Vous l’avez mis dans un coin.
Je l’ai mis dans un coin et me suis dit « c’est leur rejet, ils font ça. » Il y a toujours une petite raison, ils cherchent une petite raison. Il sont vu que mon histoire est vraie mais ils cherchent une petite raison seulement pour te rejeter, pour ne pas t’accorder le statut de réfugié. Parce que sinon mon histoire était claire. C’était clair, clair, clair.
Donc d’après vous ils font ça parce qu’ils ne veulent pas donner.
Ça c’est sur ! Sur 100 % qui demandent le statut de réfugié, je crois qu’il n’y a que 5 % qui obtiennent le droit (en réalité, 16 % l’ont obtenu cette année là). Pour les 95 % restant, je crois que c’est un rejet. C’est difficile d’entendre quelqu’un qui est parti à la Commission de recours et qui a obtenu le statut de réfugié.
C’est rare.
C’est rare.
Demandeuse d’asile sans papiers
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Je n'oublierai jamais leur tête
Jusqu’à présent, la dame, même si je la vois dans 100 ans, je pourrais la reconnaître. Tous les gens que j’ai vus, à l’OFPRA, à la Commission de recours, j’ai leur tête mémorisée dans ma tête. Je les vois tous les jours. Le jour où je l’ai vue, la dame, elle portait des rastas, elle était très belle, avec des yeux ronds. Je ne vais jamais l’oublier, même si demain je la vois en ville je vais la reconnaître. Pourtant je l’ai vue une seule fois, à peu près deux heures, deux heures, deux heures trente.
Et comment tu l’expliques ça ?
C’est parce que dans ma tête, ma vie était dans sa main.
Réfugiée politique
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Des audiences CNDA expéditives
Pour être précis, jusqu’à présent(témoignage datant de 2006) il y avait à peu près douze affaires par audience, sachant que l’audience c’est 8H30 – 13H00 et 13H45 – 18H00, en gros, ça après je ne sais pas parce que souvent je suis partie. Donc si vous faites rapidement le calcul, douze dossiers à entendre dans ce temps là… quand vous avez un avocat, vous avez droit à 45 minutes, mais au bout de 45 minutes déjà on vous dit « oh ! stop là ». Vous enlevez sur ce temps là, dejà, le rapporteur qui fait son rapport. Il explique depuis le départ. Le rapporteur c’est un jeune étudiant, en CDD à la CRR (Commission de recours des réfugiés), il a un troisième cycle, il étudie les dossiers et il donne son avis. Il étudie ou il n’étudie pas. Sachant que lui il va avoir un accès Internet pour X nombre de rapporteurs, donc voilà, il doit faire sa propre doc, il y a quelques docs à la CRR mais… donc si vous voulez, tout le problème c’est de faire un énorme travail en amont, de lui envoyer tous les éléments, la doc avant, le dossier avant, les éléments…
Au rapporteur, parce que vous connaissez le rapporteur dévolue au dossier que vous défendez.
Non je ne le connais pas mais j’envoie. Voilà, ça c’est la première chose. Le but c’est que le rapporteur soit dans votre sens. Et s’il n’est pas dans votre sens, c’est de faire sans, mais de faire ça dans un délai de vingt, trente minutes. Sachant qu’il y a aussi les questions derrière, le but étant qu’il y ait le moins de question possible, que tout soit évacué par l’avocat, tout ce que je vous disais, les confusions, les non sens, pour que, quand on pose des questions à la personne la réponse soit claire, précise, et comme les membres de la CRR n’ont pas vu les dossiers avant, ce qui est quand même assez…
Incroyable
Incroyable quoi, ce n’est pas une juridiction (depuis, la CRR est devenue une juridiction : la Cour nationale du droit d’asile), c’est… ils n’ont pas vu les dossiers avant donc ils se basent sur ce que dit le rapporteur et ce que dit l’avocat, d’accord ? Donc il faut absolument que l’avocat soit synthétique et surtout très clair, super clair sur la biographie : un, deux, trois, voilà les persécutions, voilà les craintes en cas de retour, voilà la situation actuelle.
Pour qu’ils aient toutes le billes pour déjuger éventuellement l’OFPRA et fonder leur décision.
Voilà.
Sachant qu’ils vont aller très vite et que ça se joue tout de suite. Ils n’ont pas le temps de revenir sur les dossiers à mon avis, avec douze dossiers par séances, c’est même pas la peine. C’est quand même rapide pour raconter une vie hein !
Une avocate spécialisée
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Conviction, doute, suspicion
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On ne me croyait pas
Bon, eux (l’OFPRA) ils travaillent peut être pas vraiment pour donner (le statut de réfugié) à ceux qui ont des problèmes là bas, non. Peut être qu’ils ont des instructions pour ne pas donner le statut à certaines personnes. Puisque regarde, moi, ils ont mal approfondi des choses que j’ai montrées. Il y a des preuves, il y a le prêtre qui était là-bas (qui l’a aidé et c’est aussi réfugié en France par la suite). Mais bon… Je ne sais pas comment ils pensent. La dame là, lorsqu’ils avaient rejeté ma demande, ils disent que je ne connais pas le nom du village à côté de chez moi. Ah ! Moi je suis né là bas, est-ce que je peux oublier le nom du village ? Non. Ils mettent en doute les fonctions politiques de mon père. Mais lui, il était député à l’époque. Eux ils disent que non. On dirait qu’ils étaient allés vérifier au Congo. Ils ont dit « non, il n’était pas député ». Mais réellement, il était député.
Donc ils ne vous ont pas cru.
Non.
Un demandeur d’asile congolais
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Le certificat médical, une preuve ?
Ce qu’on essaie de faire, c’est qu’on demande aux gens de venir avec leur histoire migratoire et dans les parties des histoires où il y aurait…il y a eu des sévices physiques ou des risques médicaux liés à la situation, par exemple camps de transit, incarcération dans des prisons insalubres à plusieurs, des gens à l’évidence malades et non-soignés, on essaie d’attester par nos constatations de la probabilité de liens entre ce qu’on observe et l’histoire décrite par le patient. Donc on recherche toutes les maladies et les séquelles physiques observables, ou psychiques dont on peut attester via un avis spécialisé qui pourrait être en lien avec l’histoire migratoire et l’histoire de sévices ou de danger subis au pays d’origine. Et quand on constate ces faits on écrit en conclusion que les faits observés sont compatibles ou non avec les phénomènes allégués par le patient. Par exemple quelqu’un qui dit avoir subi des coups à tel ou tel endroit, on y retrouve ou pas des cicatrices compatibles avec des accidents traumatiques. Quelqu’un qui dit avoir subi des viols, on fait un bilan pour rechercher des M.S.T. qui sont compatibles avec des rapports sexuels non choisis. Eventuellement quand il y a eu des traumatismes de violence extrême, on fait faire des expertises gynécologiques pour voir si on retrouve des traces de violence. On essaie de documenter avec précision toutes les traces physiques et psychiques qui sont alléguées par le patient dans son histoire migratoire. Après il faut écrire ou ne pas écrire qu’on a le sentiment ou la conviction que ce qu’on a constaté est compatible avec l’histoire que nous a racontée le patient. Après la balle est dans le camp des inspecteurs de l’OFPRA (Officiers de protection de l’OFPRA qui accorde ou refuse le statut de réfugié après un entretien et la lecture du dossier de demande d’asile) qui eux ont également leur grille de lecture et décident ou non de considérer cet argument comme un élément de présomption ou de preuve. Sachant que la santé, le versant santé, n’est pas l’élément déterminant dans la décision OFPRA.
Un médecin s’occupant régulièrement des migrants
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Raconter une histoire dure et ne pas être cru
Tu peux me raconter comme ça c’est passé la demande d’asile de ton point de vue ?
La seule chose que j’ai trouvée bizarre, quand j’ai fait la demande d’asile été obligé de raconter mon histoire… raconter mon histoire et après ils ont étudié, l’OFPRA a étudié ça et après ils m’ont donné la réponse : s’ils allaient me donner les papiers ou quelque chose comme ça. Mais le pire, la seule chose que j’ai trouvé que ce n’était pas bien, c’est les gens, sans savoir ce que les autres ils ont vécu, leur vie, ils veulent juger les choses. S’ils comprennent pas, il faut qu’ils demandent : « on ne comprend pas ça ». Non, mais… moi je raconte que ma vie était comme ça, mon père, ça, ça, ça… mais eux de suite ils disent que non, c’était pas comme ça parce que c’est faux. Ça c’est une chose que… c’est pas bien.
C’est qui, c’est l’OFPRA qui t’a dit ça ?
Oui, parce que la première fois que j’ai fait la demande ils m’avaient refusé. Ils m’avaient donné un rejet, ils m’avaient donné un rejet qui… Ils m’ont donné un rejet parce que mon histoire n’était pas claire, tout ce qui était dans mon histoire c’était des mensonges. Il fallait que je revois ça pour faire mieux et pour faire à nouveau la demande.
Tu te souviens comment tu as réagi quand tu as eu ce rejet ?
Oui mais la seule chose que je me suis dit… qu’est-ce que je vais faire d’autre ? Si ce que je raconte, ils ne veulent pas le croire, alors qui c’est qui va croire en moi ? Moi je me suis dit « moi-même, tout seul. La seule chose que je vais faire c’est essayer de vivre quand même. » Moi je dis, déjà ici, là où je vis, j’arrive même pas à rester, ça fait mal à la tête, et encore de garder tout ça dans la tête… ça devait vraiment me faire mal.
Un demandeur d’asile arrivé mineur en France
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Au Congo on dit Nous et pas Je
Parlant du refus de la Commission de recours des réfugiés de prendre en compte une attestation qui parle d’une situation générale et ne le concernerait pas personnellement Bon, le Président (de la séance lors de son passage devant la Commission) il a dit « le témoignage du prêtre qui est ici en France, à propos de ceux qui sont au Congo, non ». Pour eux ils disent non (le témoignage ne convient pas). « Pourquoi le témoignage du prêtre il parle seulement pour tous les jeunes qui étaient au village ? Au lieu de parler pour toi ? » Moi j’ai expliqué au Président là, moi j’ai dit « Non, parce que moi j’ai vécu ici en France un peu quand même. Ici en France il faut dire Moi, Toi, c’est comme ça que ça se passe. Mais au Congo, quelqu’un qui est vraiment Congolais, il ne peut pas dire Je ou bien Moi, on dit seulement Nous en général, ensemble. » Le prêtre il a écrit cette idée dans la lettre, il a pensé comme on vit au Congo.
Un demandeur d’asile congolais
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Etre capable et en état de se défendre
Et puis encore faut-il qu’on puisse suivre les gens de manière à pouvoir aller jusqu’au tribunal administratif avec eux. Le souci que nous on a ici, par exemple, c’est que nous les gens on peut les voir une journée et puis leur filer un rendez-vous trois jours après et puis en fait ils ne vont pas venir parce qu’à ce moment là il s’est passé plein de choses, parce que dans la rue c’est dur ou parce qu’ils ont rencontré quelqu’un qui leur a proposé de les héberger je ne sais pas où pour trois nuits. Pour eux c’est l’urgence donc tant pis pour le rendez-vous ici ou ailleurs. Donc du coup on perd quand même des situations. Si on allait plus souvent au T.A., je pense que les choses pourraient changer davantage, mais le problème c’est que c’est difficile de les suivre jusqu’au bout et même pour eux, aller devant un tribunal c’est une démarche qui est vachement dure à faire. Un, parce que ça leur renvoie plein de choses, ils ont la trouille, et de toute façon on a souvent un problème de représentation d’avocats ou autre et on est submergé de toute façon.
Membre d’une association
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Quand les persécutions ne sont pas reconnues par l'institution
Le fait que les persécutions ne soient pas reconnues, ça je pense que c’est le summum. Ça les bouffe.
Les gens ils le prennent super… quand tu demandes à une personne si elle comprend le rejet de l’OFPRA, on peut expliquer dans quel sens tu entends « comprendre » déjà, et expliquer pourquoi on lui dit que ce qu’elle raconte c’est peu probant. Enfin tu peux lui expliquer cent fois à la personne, elle ne va pas l’entendre et elle prend une énorme claque quoi. Enfin, certaines personnes en tout cas.
Oui, même si tu expliques que c’est le point de vue de l’administration,
Pour eux, c’est eux, c’est l’Etat français
Oui et puis ce n’est pas que du mécanique parce que quand même les gens ils ont été reçus par l’Officier de l’OFPRA. Donc tu vois, les gens ils ont été entendus souvent, parce que nous quand on fait des demandes avec les gens, on demande qu’ils soient entendus. Donc ils ont été convoqués à Paris, ils ont pu plus ou moins s’expliquer par oral, avec un interprète, etc…. Donc ils ont l’impression d’avoir dit des choses importantes et quand ils reçoivent la décision, avec la façon dont c’est motivé c’est vraiment violent. Enfin, les décisions de l’OFPRA, quand tu as un refus de l’OFPRA, tu as certaines personnes avec qui tu passes vraiment du temps à expliquer le truc parce que c’est super mal vécu quoi. C’est une négation, enfin en gros on leur dit qu’ils mentent, qu’ils racontent n’importe quoi pour obtenir l’asile et donc c’est une horreur quoi.
Ou on leur dit que c’est peut être avéré mais que
Qu’ils n’apportent pas de preuves
Que ce n’est pas prouvé, que dans tous les cas ça ne rentre pas dans le cadre de la Convention de Genève. Et là c’est encore… ça arrive aussi. C’est un peu… enfin tu as beau l’expliquer…
Membres d’une association
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Santé et demandeurs d’asile
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Parcours à hauts risques
Alors pour les demandeurs d’asile, moi j’ai repéré quatre situations.
La première et qui n’est pas la plus fréquente, ce sont les gens qui arrivent malades. C’est pas fréquent mais ça arrive que les gens dans leur parcours migratoire ou même depuis le pays d’origine étaient porteurs d’une pathologie évolutive et arrivent en France malades. Ce n’est pas le plus fréquent et puis là c’est de la médecine classique.
La deuxième situation qui elle est beaucoup complexe et fréquente, c’est la situation de demandeurs d’asile qui ont subi des violences. Avec soit une entrée sur un mode de syndrome post-traumatique, avec toute la variabilité que peut prendre cette expression, soit pas d’expression particulière de cette violence subie mais une demande institutionnelle d’une assistante sociale, d’une association qui a repéré la problématique, sévices, tortures et qui nous demande d’en faire le point avec le patient, même s’il n’y avait pas de demande ou de souffrance exprimée sur ce passé. Ça c’est fréquent. Et donc nous recevons ces solliciteurs d’asile et établissons un constat des lésions physiques et psychiques, pour étayer soit une première demande OFPRA, soit éventuellement une demande en Commission de recours car parfois les violences ne sont pas exprimées au premier chef de la demande et surviennent au cours d’entretiens. Donc ça c’est assez fréquent qu’on soit sollicités pour établir ces constats.
Donc là c’est éventuellement pour du soin et, entre autres, pour établir des constats j’imagine.
Voilà. Alors le soin pratiquement jamais puisqu’on arrive souvent très très tardivement après les sévices, parfois en terme de mois, mais aussi en terme d’années, ou même de dizaines d’années. On a vu des gens qui faisaient état dix ans avant, d’un viol ou d’une incarcération avec traumatisme et qui avaient enfoui ou supporté cet événement, vécu X années dans leur pays d’origine, puis les choses s’accumulant, les situations politiques se dégradant avaient fui le pays et faisaient état de violences qui pouvaient être très anciennes. Alors qu’on a également des gens qui subissent une violence et qui, subissant cette violence, quittent le pays dans la foulée et arrivent avec ce traumatisme encore frais, récent. Mais j’ai le souvenir notamment d’avoir vu des femmes victimes de violences sexuelles dans le cadre du conflit rwandais et de les exprimer en arrivant en France, donc pratiquement dix ans plus tard. Avec des conséquences psychiques majeures évidemment, et parfois médicales. Sous forme de grossesses issues de viol, sous forme de séropositivité pour des M.S.T. y compris les plus graves, comme le sida. Donc des choses qui pouvaient être anciennes mais que l’on constatait à l’arrivée en France, des années et des années après.
Le troisième cadre que j’ai repéré c’est celui de la paupérisation. C’est à dire les solliciteurs d’asile pour qui l’intégration se fait mal, ou qui ne se fait pas du tout, qui sortent un peu du cadre, qui n’ont plus droit à l’indemnité de la première année après l’arrivée en France, qui sont en Commission de recours, se retrouvent dans des situations financières ingérables, obligés de rentrer dans des circuits parallèles de logement et de travail, avec tous les risques médicaux encourus. De mauvaise nutrition, de mauvais sommeil, de changement de lieu permanent voire de travail au noir à des fins de subsistance. Et là on rentre dans des pathologies de la paupérisation, de manque d’hygiène, de manque de soins, de manque de repos et voire d’accidentologie du travail. Car évidemment le travail au noir est souvent le plus dangereux, le plus exposé, le moins surveillé, qui fait l’objet d’aucune mesure de sécurité, sur des travaux pénibles, à risque. Donc on arrive à avoir des pathologies traumatiques ou médicales de cette dégradation de la situation sociale sur un dossier qui traîne des mois voire des années.
Ces pathologies médicales, quelles sont-elles ?
On voit par exemple, moi j’ai vu des tuberculoses survenir après un ou deux ans de séjour en France alors qu’on a la certitude que les gens sont arrivés non tuberculeux puisqu’on avait fait le point à l’arrivée. On voit des décompensations cardiaques survenir. On voit tout ce qui est du domaine de l’épuisement psychique, parce qu’après la lune de miel entre guillemets de l’accueil en France, de la constitution d’un dossier, de la remise d’une indemnisation… (interruption, arrivée d’une personne extérieure) donc après toute cette période d’accueil où naît l’espoir, la paix réelle au sens de l’absence de menace physique, quand les choses traînent, que les rejets arrivent, que les recours n’en finissent plus, que toutes les solutions s’épuisent, on arrive avec les conséquences de l’épuisement du parcours, de la désespérance et de toute la pathologie psychosomatique qui en découle. Qui peut avoir une expression extrêmement variée, problèmes de douleurs abdominales, de gastrite, d’ulcère, de somatisations diverses et variées chez des gens épuisés par leur parcours interminable qui pour, d’après les chiffres que j’ai pu lire, pour 90 % d’entre eux se terminera par un rejet.
Un médecin s’occupant régulièrement des migrants
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Une santé qui continue de se détériorer en France
C’est à dire que d’une part tu as l’angoisse qui est présente pour tous, qui ne fait qu’aggraver les conditions de santé, puisque l’impacte de la situation psychologique est vachement important. Les séquelles des traumatismes et des mauvais traitements qui ont été subis dans le pays d’origine, parce que tu as des gens qui se barrent parce qu’ils ont subi des tortures quand même, donc ils ont encore des séquelles de ce qu’ils ont enduré dans leur pays d’origine. Et tu as les conditions de vie ici en France, matérielles, qui font que quand, par exemple, tu es dans un foyer d’urgence où tu ne peux rester que la nuit mais qu’en plein mois de février tu es dehors toute la journée, à huit heures du matin jusqu’à sept heures le soir… que tu n’as qu’un repas par jour, maximum, ça aggrave énormément ta situation. Donc les conditions de vie en France font que tu as des gens qui sont arrivés avec des problèmes de santé mais qui se sont largement aggravés au bout de quelques mois, quelques semaines sur le territoire. Ça dépend si les gens arrivent l’été, l’hiver, tu vois.
D’accord.
Et puis il y a un truc aussi qui revient souvent. Les personnes qu’on reçoit sont couvertes (couverture sociale par l’assurance maladie) en général, ou si elles ne le sont pas on demande systématiquement la prise en charge, ou on oriente sur Médecins du Monde et ce sera fait. Mais la personne elle te le dit clairement : elle ne sait pas ce qu’elle va bouffer le soir, elle va préférer chercher partout à bosser, à faire la manche, à trouver une solution pour le soir plutôt que d’aller voir un docteur.
Oui, ça change les priorités de ce qui est vital ou pas.
Ben oui. Toi tu peux te dire que c’est super important, dire « ça, ça ne va pas, il faut que vous le traitiez, ça ne vous coûtera pas d’argent » mais… ça, ça revient souvent : « oui, je ne suis pas allé chez le docteur mais il fallait que mes gamins bouffent ou… ». Ce qui est constant c’est de voir quand même des personnes dont on s’occupe dont l’état s’aggrave à en devenir… dont certains qu’on connaissait qui étaient traumatisés au début et qui aujourd’hui ont des pathologies beaucoup plus graves. Ils sont partis quoi…
Moi j’ai des certificats médicaux qui disent que le tableau clinique s’aggrave, que la personne n’est même plus à même de comprendre. Il n’y a pas d’amélioration, au contraire. C’est l’attente (du résultat de la demande d’asile), c’est l’angoisse, ce sont les conditions de vie, c’est… Il y a tout ça qui entretient (le mauvais état de santé mentale et physique).
Et même si les gens sont suivis, qu’ils vont chez le médecin régulièrement.
Et il y en a plusieurs quand même.
Membres d’une association
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Obstacles et lenteur des prises en charge médicales
On a quelques fois de grosses difficultés quand les gens sont ici depuis peu de temps, pour obtenir assez rapidement un dossier d’aide médicale Etat qui va permettre qu’on les soigne correctement. Donc la grosse question aujourd’hui ce sont effectivement les contraintes administratives qui sont imposées aux solliciteurs d’asile pour qu’ils puissent accéder à l’aide médicale Etat.
Ces contraintes, c’est quoi ? Et le « pas assez rapidement » ça représente combien de temps ?
D’une part ils ne peuvent faire leur demande que lorsqu’ils sont en France depuis trois mois. Ça déjà c’est extrêmement grave puisque c’est pendant les premières semaines après leur arrivée dans ce pays qu’il faudrait prendre en charge leurs problèmes de santé. Et pour avoir un dossier, malgré la connaissance qu’ont les permanents de l’association pour raccourcir (accélérer) les dossiers, s’il n’y a pas une pression auprès de la Sécu pour avoir rapidement une aide médicale, ça peut durer quelques semaines de plus.(…) Et ça, ça me paraît extrêmement grave parce que lorsqu’ils sont porteurs de pathologies qui peuvent être évolutives, ça veut dire que leur état de santé ne pourra que s’aggraver le temps nécessaire pour qu’ils aient accès à une couverture sociale. (…) Ces difficultés d’accès aux soins, pour de sordides raisons de soit-disant économies, ne font que générer des coûts plus importants parce qu’une pathologie prise au début va être traitée plus rapidement… L’exemple que je prends souvent : une toux qu’on va laisser traîner parce qu’elle ne paraît pas grave, si c’est une tuberculose quand on va commencer à la traiter, les dégâts pour l’individu seront importants, ce sera un coût plus important de la prise en charge, et par ailleurs il y a y compris un risque de contamination de quelques collègues à lui dans les conditions de vie qui sont les siennes. Donc ce barrage à l’accès aux soins est un contresens en termes de santé publique et y compris un contresens en terme d’économie de la santé.
Un médecin s’occupant régulièrement des migrants
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Un accès trop lent à une couverture santé
La principale difficulté que je vois est liée à ma fonction : c’est l’accès à la sécurité sociale. Du fait que l’admission en CADA (centre d’accueil pour demandeur d’asile) est beaucoup plus rapide, les dernières familles, les droits ne sont pas ouverts lors de leur arrivé en CADA, et encore plus pour les familles sous convocation Dublin qui n’ont aucun droit ouvert, pas de CMU (couverture maladie universelle). Il y a toujours la possibilité de les orienter vers la Permanence Accès aux Soins de Santé, la PASS. Mais bien souvent les personnes ne sont pas autonomes pour y aller toutes seules, pour nous c’est compliqué de faire un accompagnement parce que cela prend pratiquement une demi journée, il y a beaucoup d’attente. Ça c’est quand même problématique parce qu’il n’y a pas une seule famille qui n’a pas de pathologie à son arrivée en France.
Comment ça se passe pour ces familles ? Comment tu fais ?
Bien souvent on diffère.
On peut donc supposer que les personnes qui ne passent pas en CADA peuvent avoir des problèmes assez sérieux de couvertures santé.
C’est évident. Parce que nous, en ayant quand même des travailleurs sociaux sur place, on est confronté à des difficultés (notamment le temps de résidence en France), donc j’imagine que les gens qui ne sont pas dans le dispositif national (hébergement + accompagnement spécialisé) doivent rencontrer d’autant plus de difficultés pour faire ouvrir leurs droits.
Salariées d’un centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA)
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Sans couverture maladie : soigner en cas d’urgence
Qu’est ce que c’est l’urgence ? Ce sont aux médecins de définir l’urgence. Effectivement, il y a des urgences qui sont évidentes : si quelqu’un est renversé dans la rue, qu’il y a une hémorragie, si quelqu’un a une fracture, l’urgence ne posera pas de problème. Mais si quelqu’un a une maladie qui n’a pas de conséquences immédiates dans sa survie, là l’urgence va être interprétée de différentes manières par les médecins. Pour certains, une toux chronique qui peut évoquer une tuberculose ça va être considéré comme une urgence qui va justifier un bilan pulmonaire, pour d’autres, quelqu’un qui tousse ce n’est peut être pas une urgence, ça peut être banal et on ne va pas le prendre en charge. Donc c’est toute la définition de l’urgence qui est floue. Parce que les médecins qui vont devoir établir le certificat médical d’urgence qui va justifier la prise en charge à l’hôpital (ont une perception de l’urgence) qui va être différente. Moi je sais qu’aux urgences à Rangueuil (hôpital toulousain), en fonction des médecins qui sont de garde, la notion d’urgence va varier. Ca laisse la porte ouverte à des interprétations variables, selon les médecins, et non pas obligatoirement avec des critères médicaux, bien évidemment, mais où sont mis en jeu des critères personnels vis à vis d’un patient qui n’est pas issu de notre communauté.
Un médecin s’occupant régulièrement des migrants
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Les traces psychologiques sont constantes
En revanche les traces psychologiques sont constantes, même sur des traumatismes dont on ne retrouve aucune trace ou des traces qui seraient tout à fait minimes. Mais subir la peur de mourir ou la peur d’être blessé physiquement laisse des traces psychiques très profondes.
Un médecin s’occupant régulièrement des migrants
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Un accompagnement psychologique à minima
J’interviens souvent auprès de différentes structures pour parler de la santé des migrants, et quand j’en parle je reprends trois chapitres un peu classiques qui peuvent prêter à contestation mais qui ont l’avantage d’être pédagogiques. Je décris d’abord ce que j’appelle les pathologies d’importation : quand on vient d’un coin du monde, on risque de venir avec les pathologies qui existent dans ce coin du monde. Puis il y a les pathologies d’acquisition : celles que l’on va choper en France parce que justement on a parfois un organisme qui a été secoué par des pathologies antérieures (pas toujours bien soignées dans le pays d’origine), mais surtout parce que les conditions de vie au pays, les conditions de vie dans le voyage entre le pays et la France et les conditions de vie en France sont extrêmement défavorables pour la santé. C’est vrai que ces populations sont des populations à haut risque, par exemple, pour la tuberculose, dont on sait que ça peut toucher tout le monde, mais plus particulièrement ceux qui ont des conditions de vie dans de l’habitat insalubre, ou quand on est à la rue, ou à plusieurs locataires dans la même chambre d’un appartement pourri. Donc les conditions de vie vont être génératrices d’affections respiratoires, cutanées, qui sont liées vraiment aux conditions de vie. Et là je parle d’atteintes à la santé physique, mais de la même façon, ces conditions de vie extrêmement difficiles vont avoir des retentissements importants par rapport à la santé mentale. Les difficultés existentielles qu’ont les demandeurs d’asile, par rapport à leurs conditions de vie, par rapport à leur angoisse du lendemain qui n’est jamais très clair, et surtout par rapport à la grosse déception qu’ils ont en arrivant dans ce pays. Parce que pour eux la France c’est un peu mythique : « pays des droits de l’homme ». Et quand ils mesurent dans leur peau et dans leur tête le non-accueil dont ils font l’objet, quand ce n’est pas le rejet, c’est vrai que tous ces éléments se surajoutent pour fragiliser la santé mentale.
Il y a deux directions vers lesquelles ces situations peuvent amener : vers de vrais syndromes dépressifs authentiques, avec quelques fois… moi dans ma longue histoire auprès d’eux j’ai eu quelques fois connaissance y compris de suicide. Et quelques fois, avec les difficultés dans lesquelles ils ne se retrouvent plus, il peut y avoir des épisodes psychotiques à type de délire qui se mettent en marche, dont un des fondements, la maladie mentale ce n’est jamais une seule origine, mais le vecteur conditions de vie est un des éléments importants qui peut entraîner des décompensations, lorsqu’il est compliqué comme il l’est pour eux.
Et de ce point de vue là, au niveau institutionnelle, associatif et plus largement sur tout l’existant qu’il y a à Toulouse, cette prise en charge santé elle en est où ? Comment tu l’analyses aujourd’hui ?
Elle est notoirement insuffisante. Notre association depuis des années (créée en 1975) a été porteuse de cette souffrance psychique dont sont victimes les demandeurs d’asile et on a les pires difficultés pour que la DDASS prenne en compte cette dimension. C’est clair. Avec des conséquences très visibles au niveau de l’association : nous avons les pires difficultés pour avoir des financements pour les psychologues interculturels et les psychiatres de notre association. Le discours des autorités sanitaires, notamment la DDASS, c’est « droit commun » : « il y a des psychiatres à l’hôpital, en ville, que les gens aillent voir ces psychiatres ». Donc la dimension de la spécificité des troubles psychiques des étrangers en général et plus particulièrement des demandeurs d’asile n’est pas du tout prise en compte par la DDASS. Et quand on explique les difficultés qu’ils peuvent avoir… La démarche vers un psycho n’est pas évidente dans d’autres cultures s’il n’y a pas un accompagnement vers cette compréhension du fait qu’il s’agit de troubles psychiques. S’il n’y a pas tout cet accompagnement, quel que soit le métier : assistante sociale, éducateur, agent d’accueil… s’il n’y a pas cet accompagnement vers le psycho, l’écart culturel fait qu’un migrant en souffrance psychique ne va pas penser obligatoirement à aller voir un psycho parce que dans son pays ça n’existe pas et qu’il ne voit pas bien à quoi ça peut servir. Cette compréhension dans l’accompagnement n’est pas entendue par les autorités sanitaires.
Un médecin s’occupant régulièrement des migrants
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Pas d'aide psychologique structurée pour les plus traumatisés
Y compris pour des gens qui très clairement sont dans une situation qui demanderait une prise en charge prioritaire, c’est à dire le demandeur d’asile traumatisé par des tortures ou… Bref, traumatismes typiques du demandeur d’asile.
Et alors ?
Est-ce que même dans ces cas là il n’y a pas d’aide, il n’y a rien de particulier de prévu ?
Non, il n’y a pas d’aide particulière et si ça pousse vraiment, il va y avoir une hospitalisation d’office ou un truc comme ça, de quelques jours, médocs (médicaments), machin, mais il n’y a pas de suivi. On en voit qui… ou des mutiques, qui ne vont rien dire. Enfin, il y a d’énormes traumatismes. Mais il n’y a rien, ils vont être hospitalisés, puis ils vont ressortir, puis ils vont être ré-hospitalisés, ils vont retomber sur une A.S. (assistante sociale) ou je ne sais pas.
Membres d’une association
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De forts besoins pour le suivi psychologique des enfants
Pour moi le principal problème c’est le manque de prise en charge thérapeutique pour les enfants par rapport aux traumatismes qu’ils ont vécus. Ce sont souvent des enfants qui arrivent avec des problématiques de deuil, de guerre.
On a essayé de mettre en place de l’art thérapie parce que le cadre psychologique classique pour les enfants, là il n’est pas adapté, je pense. Parce qu’il faut que ce soit fait dans le ressenti, en douceur aussi. Si c’est un psychologue qui travaille de manière classique en recevant les enfants avec les parents dans un bureau c’est difficile. Déjà il y a la barrière de la langue. L’art thérapie serait adapté mais on n’a pas les moyens financiers.
Il n’y a donc pas forcément les moyens prévus pour des consultations…
Ah non ! au niveau financier ce n’est pas pris en compte, c’est clair, très clair !
Il n’y a pas de budget spécifique, c’est à vous de jongler avec les budgets que vous avez.
Et c’est pareil avec les adultes. On travaille avec une psycho qu’on a en interne et on fait appel à des services extérieurs. Mais là on a explosé les budgets royalement quoi !
Salariées d’un centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA)
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Des enfants interprètes dans des situations traumatisantes
Le problème essentiel c’est l’interprétariat. . Et pour la santé c’est assez terrible, moi je fais des suivis santé, mais sans interprète. Par exemple la semaine dernière j’ai fait des accompagnements en urgence avec une dame Tchétchène, elle était frustrée, excédée parce qu’elle n’arrivait pas à s’exprimer. En plus il y avait un enjeu très important pour elle, un enjeu vital car elle va peut être être reconduite et que cela peut mettre en danger le bébé qu’elle porte. C’est la personne qui va certainement être reconduite (de force dans son pays. Donc elle voulait expliquer tout ce qu’elle pouvait ressentir. Peut être qu’une éventuelle reconduite ça pourrait mettre son bébé en danger parce que c’est une dame enceinte. Et elle n’est pas arrivé à l’exprimer parce que ça c’est fait en urgence. J’ai bien senti qu’elle était déçue, malheureuse, frustrée et énervée. C’est un souci l’interprétariat.
aussi une possibilité éventuellement d’être régularisée pour raison de santé.
Du coup comme les enfants apprennent plus rapidement le français, à l’école, du coup après ils servent énormément d’interprètes à leurs parents. Même nous on le fait parfois même si on veut éviter qu’ils soient au courant de toutes ces histoires de papier. Ça les met souvent dans une situation de maturité beaucoup plus forte que ce qu’il devrait y avoir.
Salariées d’un centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA)
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Etre aidé et se reconstruire
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De l'importance d'un accompagnement spécialisé et de ceux qui en sont exclus
Et puis des dossiers OFPRA qui sont mal faits.
C’est sur, quand ils sont tous seuls pour le rédiger !
Vraiment un manque de soutien à l’élaboration du dossier OFPRA avant l’entrée en CADA (Centre spécialisé dans l’hébergement et l’accompagnement des demandeurs d’asile). Puisqu’il n’y a que 21 jours entre la demande du dossier et l’envoi du dossier Par exemple, un couple qui est chez nous actuellement, qui ont fait le dossier avant d’entrer en CADA, qui l’ont renvoyé mais qui ont oublié de signer. Le dossier de monsieur est revenu dans les temps, on a pu corriger l’erreur, mais pour madame, le dossier a été retourné mais hors délai. Voilà : rejet (de la demande d’asile sans qu’elle ne soit examinée).
Et comment on été constitué ces dossiers ? Les personnes les ont remplis elles-mêmes ?
Oui.
On a un exemple aussi, hyper révélateur de la difficulté de mettre en place un dossier OFPRA hors dispositif national. On avait une famille qui a eu un rejet de sa demande jugée « manifestement infondée ». Après ils sont arrivés au CADA (pris en charge par des spécialistes) et en 24 ou 48 heures l’assistante sociale a refait un dossier OFPRA. Il s’est avéré que le monsieur avait subi des tortures et tout. On a déposé un dossier pour que l’OFPRA réétudie la demande d’asile, on a joint des pièces complémentaires de médecine légale. Et ils ont eu le statut à l’OFPRA. Ça veut dire que c’est parce qu’il y a eu l’intervention du travailleur social qui a demandé à ce que le dossier soit étudié qu’il y a eu une réponse positive à l’OFPRA, ce qui est quand même très rare (dans ces cas de recours gracieux). Si ces personnes étaient restées à la rue c’était fini, c’était fini.
Salariées d’un centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA)
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Une procédure dans l'urgence qui nuit à la qualité de l'accompagnement social
Avant, les gens restaient longtemps et arrivaient à apprendre le français, notamment les hommes. Pour nous le travail était différent. Alors que maintenant, comme les procédures s’accélèrent, ce temps qui avant nous était donné pour une prise en charge qui allait un peu plus en profondeur, maintenant on sent aussi qu’il faut faire face à des choses très rapidement.
Ce sont les conséquences des choses qui se resserrent, une accélération (des procédure) souhaitée par les pouvoir publics.
Et nous ça nous amène à être souvent dans l’urgence. Et donc à mettre un stress supplémentaire. Parce qu’il y a aussi tout l’aspect émotionnel qui rentre en compte.
Salariées d’un centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA)
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Supression des cours de français
Du fait de la suppression du service formation de tous les CPH (suppression des cours de français dans les centres provisoires d’hébergement) depuis la mise en place du contrat d’accueil et d’intégration, aujourd’hui pour les demandeurs d’asile il n’y a plus rien (plus de cours de français officiellement destinés à cette population).
Salariées d’un centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA)
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Attendre sans droit au travail, ni droit à la formation
C’est l’absence totale de possibilités de formation ou d’apprentissage linguistique, du fait de la situation administrative des demandeurs d’asile.
Donc une période d’attente où il n’y a pas la possibilité de se réaliser, de se former.
Oui. Ils sont super demandeurs en plus, ils le demandent « Ok, on ne peut pas travailler, mais qu’on puisse au moins se former, faire quelque chose.
Et puis ils veulent surtout sortir, ils ont l’impression d’être dans des ghettos.
Salariées d’un centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA)
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La pesanteur de l'inactivité forcée
Je cherche à faire autre chose pour m’occuper. Parce que là, je dis que je me sens un peu parasite quoi ! Je me sens un peu parasite, je suis là, je dépends de quelque chose, ou bien je dépends de quelqu’un, ou bien je dépends d’une association. Donc je me sens un peu parasite parce que j’étais habitué à travailler (au Cabinda), à sortir le matin et à revenir le soir. Et donc là je vais peut être rester longtemps et donc je cherche à faire quelque chose, voir si je peux occuper quand même la moitié de la journée.
Il y a des idées déjà ?
Oui parce que j’aimerais… comme nous sommes en attente de la procédure, j’aimerais faire des activités, des formations aussi mais bon, je n’ai pas le droit de le faire.
Un demandeur d’asile
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L'aide précieuse des compatriotes
Arrivée en France mineure et enceinte elle est d’abord hébergée dans un foyer, puis à sa majorité la prise en charge cesse et une amie et compatriote l’accueille chez elle, pour un temps.
Et c’était dur le passage de la vie dans le foyer où vous étiez bien entourées et tout ça, à la vie après ? Comment ça c’est passé la transition entre les deux ?
Pour moi c’était pareil. Au foyer je pourrais dire que j’étais bien parce que je n’étais pas vraiment préoccupée parce que pour nourrir ma fille déjà, j’étais au foyer donc je ne m’inquiétais pas, pour moi-même je ne m’inquiétais pas non plus mais j’avais d’autres préoccupations qui m’inquiétais. Mais chez ma copine aussi ça s’est bien passé. Je mangeais chez elle, elle a été généreuse avec moi, même si c’était pas chez moi, tout ce qu’elle a fait pour moi c’était déjà… Pour moi, être au foyer ou être chez elle c’était tout pareil. Mis à part le fait que c’était chez elle, ce n’était donc pas un endroit où je pouvais rester longtemps. Alors qu’au foyer je pouvais y rester un an, deux ans ou trois ans, mais…
Demandeuse d’asile sans papiers
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De l'aide familiale à l'exploitation
j’ai habité avec ma sœur (de Toulouse), donc elle a dit « Comme tu es là, tu peux m’aider au restaurant », j’ai dit « Oui, je peux t’aider, mais… comment on va faire, parce que moi je fais mes papiers ici, toi tu m’héberges, et donc comment on va faire entre nous ? », et puis elle m’a dit « Bon je te donne de l’argent quand j’en ai, mais je peux pas te donner beaucoup », j’ai dit oui… Bon, j’étais allé à son restaurant, y a quelque chose à réparer, je l’ai fait, à ma façon, propre façon de le faire, même j’ai dormi là bas au restaurant. Dans ce temps là, je fumais. Je lui ai demandé « Est-ce que tu peux me donner de l’argent pour acheter des cigarettes ? Elle me donnait cinq euros par semaine. Et quand on s’engueulait, de temps en temps entre frère et sœurs ça arrive, elle ne me donnait rien, ni à manger ni rien. Je reste comme ça !
Un demandeur d’asile sans papiers
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L'exil, les proches au pays et le téléphone
Et là en ce moment, ma femme et mes enfants, je me permets de téléphoner une fois à la semaine, et c’est dur aussi parce que en l’écoutant au téléphone en disant « Papa j’ai des insomnies, je dis que tu es à côté de moi», un petit garçon, de 6 mois, non, de 6 ans, « Pourquoi tu.. toujours,… Tu es encore longtemps là bas ? Tu peux pas revenir, quand est ce que tu viens, on pense toujours à toi, même la bicyclette… », c’est, je ne sais plus - parce que dans ce temps, c’est moi même qui bricole les bicyclettes et les petites automobiles et il se ramène (souvient) : « Ha, si papa était là, il nous ferait tout ça, mais là, il y est plus donc comment on fait ? » Donc j’ai dit « demande un tournevis à ton grand père là, il te donne et bricoles toi-même, hein, ça te distraira un peu aussi » C’est pour cela,… et en pensant à tout cela, c’est dur ! C’est dur ! On ne peut pas !!! Moi-même dans ce moment je me souviens pas comment je fais, mais je vis.
Un demandeur d’asile sans papiers
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Comment retrouver la famille restée au pays ?
Ou encore des jeunes femmes pour qui il y a encore un enfant au pays, ça met des pressions encore plus terrible parce qu’ils se disent « il faut absolument avoir le statut (de réfugié politique) » parce que le statut va permettre de faire un regroupement familial quand l’enfant est encore mineur. Et là en fait, la dame qui est chez nous, son fils est majeur maintenant. Donc c’est une catastrophe (elle n’aura guère d’autre solution que de faire venir l’enfant clandestinement). Et elle me disait « je n’arriverai jamais à trouver l’argent. Parce que c’est une dame qui n’a pas de famille du tout et elle est en CADA avec une ASG (Allocation sociale globale) qui lui permet de manger, c’est tout, parce que ce pécule il est (faible). Et là, on sent qu’elle s’enfonce de plus en plus cette dame. La maman en question n’a qu’une peur c’est que son fils entre dans un réseau parce qu’au bout d’un moment il va bien falloir qu’il vive, qu’il survive lui aussi. Etant donné qu’elle n’a pas d’argent à lui envoyer, sa crainte c’est qu’il tombe en Turquie sur des personnes… et bon c’est quasi évident malheureusement. Donc elle, elle dit : « Il faut absolument qu’il vienne, mais il n’y a pas d’argent pour le faire venir ». On lui demande 1500 euros, quelque chose comme ça.
Salariées d’un centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA)
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Une bonne nouvelle
Et comment tu as réagis (lorsqu’il a reçu la réponse favorable de la Cour nationale du droit d’asile) ? tu te souviens ?
J’ai trouvé ça normal. J’ai trouvé normal parce que pour moi, c’était « je peux avoir les papiers ou ne pas avoir les papiers » mais parfois les papiers aussi ce n’est pas le bonheur. Les papiers nous aident à travailler, à avoir un logement, des choses comme ça. Je me suis dit que si j’ai les papiers, grâce à dieu que j’ai eu les papiers, tant mieux pour moi comme ça certaines choses pourraient être faciles pour moi, surtout que c’est ici en France que j’ai envie de vivre, et tout ça. C’est bien aussi d’avoir les papiers.
C’est sûr, c’est important.
Oui. Après j’ai commencé à faire mes choses doucement, doucement, normalement, jusque là où je suis aujourd’hui.
Un réfugié politique arrivé mineur en France
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Obtention du statut de réfugié
Qu’est-ce que ça vous a fait quand vous avez reçu cette réponse ?
J’ai retrouvé la joie de vivre. Parce que pour moi, j’étais déjà morte. Je n’ai même pas pu lire, comme si je ne connaissais pas le français. Quand j’ai ouvert le courrier, j’ai vu « la décision de l’OFPRA a été annulé ». J’étais tellement émue que j’ai oublié le mot « annulé », ce qu’il veut dire. Il y avait une dame qui sortait de la poste. Je pleurais, j’ai dit « Madame, est-ce que vous pouvez me lire cette phrase ? » Elle m’a dit « La décision de l’OFPRA qui rejetait votre demande a été annulée, la commission de recours a annulé ». J’ai dit « c’est vrai ? » Elle m’a di « Oui. ». J’ai pleuré, et tout de suite j’ai appelé Hélène (bénévole d’une association qui l’a aidée) : « Je pense que j’ai eu le papier ». Donc je suis retournée à la Cimade pour la rencontrer. Elle m’a dit que j’avais eu le papier (obtenu le statut de réfugiée politique).
Alors là votre sentiment, qu’est-ce que vous vous êtes dit ?
Si je peux revoir les gens qui ont fait que j’ai eu le papier, je vais les remercier. Ma vie elle est sauvée, franchement. Je n’avais pas l’envie… Je sais que si j’avais rompu, si ils m’avaient dit « non », j’allais me suicider, c’était clair, c’était ma décision finale, parce que je n’allais jamais retourner dans l’enfer. Alors qu ici, tu n’as pas de papiers, tu n’as pas un toit, tu vas faire quoi ? J’ai retrouvé ma voie, ma joie de vivre, ce que je dois faire dans la vie, j’ai tout retrouvé.
Ça a duré combien de temps la procédure ?
J’ai commencé au mois de mai 2005, à peu près deux ans, un peu moins de deux ans.
Est-ce que vous pouvez me raconter comment vous avez vécu toute cette procédure depuis le début jusqu’à maintenant ?
Avec le stress. Dans ta tête, tu penses, tu vois que ta vie est dans les mains de quelqu’un qui ne sait pas ce qu’est ta vie. Je n’en veux pas aux gens de l’OFPRA parce qu’ils ne savent pas. Ils ne savent que ce que le patron, le président ou les chefs disent et ce qu’ils voient dans les papiers. Ils disent qu’il y a la sécurité (le Mali est classé pays sur) mais c’est le contraire. Qu’il y a les droits de l’homme : tout ça c’est ce qu’ils disent avec leur bouche, mais ça ne se passe pas comme ça. Si tu es une révoltée au sein d’une population, tu es mal barrée !
Réfugiée politique
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Hébergé et reconnu réfugié politique
Heureusement, grâce à dieu aussi, tout allait mieux après. Ça va, j’ai eu la chance, j’ai trouvé un foyer, et aujourd’hui je me suis retrouvé dans un foyer. Maintenant je ne suis plus là, je suis dans une résidence F.J.T., un foyer jeunes travailleurs. Je pense continuer mes études, je fais ma profession, là je suis en terminale.
C’est quoi ta profession ?
« élec », électricité, je fais une terminale CAP électricité. Après je pense faire un bac pro.
Tu as quel âge toi en fait ?
Dix huit ans et demi.
Un demandeur d’asile arrivé mineur en France
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Déficit des politiques publiques d'insertion des réfugiés
Une fois le statut de réfugié obtenu, est-ce que tout roule globalement, est-ce qu’il y a des problèmes majeurs ?
L’hébergement alors là c’est le problème plus, plus, plus.
L’hébergement, l’obtention des documents administratifs. Mais là ça commence à s’améliorer vu que la CAF commence à assouplir certaines choses. Mais les délais pour obtenir les documents d’état civil, c’est très long.
Et puis après c’est un gros questionnement depuis plusieurs années : la mission du CADA s’arrête du fait de l’obtention du statut de réfugié. Donc ce qui est dit officiellement c’est qu’on peut faire l’ouverture des droits (allocations familiales par exemple). Mais après il y a des familles qui peuvent rester six à huit mois et après on fait quoi ? On fait rien ?
Avant, il y a deux ans, les familles restaient effectivement des années, on avait des prises en charge (financées par l’Etat) parfois deux ans, trois ans. Donc effectivement quand ils avaient le statut on accompagnait, on ne laissait pas les familles. On faisait l’ouverture des droits mais aussi l’insertion, le logement. On faisait tout quoi.
Et puis le problème c’est qu’il n’y a pas assez de place en CPH (Centre provisoire d’hébergement), il y a quand même ça qui coince parce que normalement c’est la mission des CPH. Et le logement autonome, même quand la personne a les capacités, ce sont les ressources qui ne sont pas suffisantes.
Salariées d’un centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA)
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Peur quotidienne d'être arrêtée et renvoyée en Afrique
La dernière fois vous m’avez dit que comme vous n’avez pas de papiers, vous aviez peur de vous faire arrêter dans la rue quand vous marchez.
Ah mais c’est possible. C’est possible en France.
Et vous y pensez tout le temps à ça ?
Non, je n’y pense pas tout le temps. Mais des fois dans la vie, il ne faut pas penser qu’aux bonnes choses. Des fois il faut aussi penser au pire. Pas tout le temps au meilleur, il faut aussi penser au pire. Parce ça arrive hein. Il y a des gens aujourd’hui même qui ont été arrêtés. Ils n’ont rien fait, ils marchaient. Aujourd’hui en France on voit vraiment qu’il y a des gens arrêtés. Donc si ces gens ont été arrêtés aujourd’hui, demain ça pourrait être moi aussi, pourquoi pas. (…) Je n’aime pas prendre des risques ! Parce que la police, quand elle arrive, ils s’en foutent, ils ne veulent pas savoir si tu as une petite fille que tu as laissée à l’école. Ça ils vont le savoir après mais la première chose qu’ils vont faire c’est t’embarquer d’abord ! C’est la première chose qu’ils vont faire, ils vont t’arrêter d’abord et le reste ils vont le savoir après, si tu as une petite fille que tu as laissée à l’école, ta vie. Ils te prennent, ils t’emmènent. C’est pour ça, des fois j’ai peur mais j’espère que moi, Dieu m’aide aussi, que ça ne m’arrivera pas à moi.
Demandeuse d’asile sans papiers
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Une population fragilisée, particulièrement exploitable
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Formes d'exploitation subies par les demandeurs d'asile
Déjà sur le travail, ça va vite : le travail, la seule possibilité c’est du travail au noir. Souvent en plus c’est à l’intérieur même des communautés que les gens se font exploiter, ça c’est clair. Ce sont les pires. C’est le plus dur. C’est ce que tout le monde dit : « ce sont nos frères qui nous exploitent ». Donc les femmes c’est souvent dans des emplois de service.
Des nanas isolées, c’est souvent aussi la prostitution, moi j’en rencontre plein.
Oui, mais les boulots salariés qui sont faits au noir, c’est souvent, emplois de service, ménages, travail à domicile, mais aussi beaucoup dans le nettoyage industriels. Et les mecs principalement ce sont les métiers du bâtiment.
De la restauration aussi, la sécurité.
Tu dis que tu rencontres plein de nanas qui sont dans des réseaux de prostitution ?
Prostitution forcée pour des nanas qui sont arrivées, qui étaient hébergées à Paris, qui ont commencé leurs démarches d’asile à Paris, qui ont eu des soucis d’hébergement et qui ont rencontré quelqu’un qui leur proposait de venir habiter à Toulouse : « Je te prête un appartement, tu verras, ça va bien se passer ». Sauf qu’une fois qu’elles sont arrivées à Toulouse les nanas, l’appartement elles doivent le payer. Et pour le payer elles n’ont pas le choix, le mec il les met sur le trottoir sinon elles ramassent. Et j’en ai quand même pas mal qui sont allées jusqu’au service de médecine légale à l’hôpital Rangueil parce qu’elles sont battues si elles acceptent pas.
D’autres faits par rapport à ça ?
De l’exploitation de type esclavage, moins abus sexuels, mais dans des familles de la communauté. Domestique, tu dors dans la cave, tu ne sors pas, ménage, faire la bouffe.
C’est souvent que vous avez des témoignages de ce type là sur la masse ?
Pas très souvent mais moi j’en ai deux ou trois.
Moins souvent que la prostitution mais il y en a quand même. On ne peut pas dire qu’il n’y en a pas.
Après, souvent ces nanas là elles ont plus de mal à sortir. Il doit y en avoir un paquet mais qu’on ne verra jamais ici parce qu’elles n’ont même pas la possibilité de venir jusque chez nous. Pour garder des personnes âgées aussi. Il y a des familles comme ça qui prennent des nanas qui bossent du matin au soir, sept jours sur sept.
Comme l’autre qui voulait payer 50 euros par mois : « Mais elle est nourrie, logée et blanchie, elle n’a pas besoin de plus ! ».
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Travailler pour survivre, dans de mauvaises conditions
C’est ce qui est le plus récurrent, et chez les hommes surtout.
Avec pour conséquences ?
Avec pour conséquences le fait de devoir bosser au noir, d’avoir la trouille, de pas en trouver, et de galérer…
Et d’être totalement exploités, dans le travail au noir.
Moi je n’en rencontre pas trop des gens qui bossent au noir et qui disent qu’ils ne sont pas payés en fait.
Non mais qu’ils soient hyper mal payés.
Hyper mal payés oui ! Mais qui ne soient pas payés ça m’est rarement arrivé en fait.
Moi je dis « travail » aussi, direct. C’est sûr. De ce qui ressort des entretiens avec les gens.
Ce qui leur pèse le plus c’est ça.
Oui.
Surtout si c’est des mecs mais qu’ils sont pères de famille. Vis à vis des gamins ils le vivent super mal quoi. De ne plus avoir leur statut de père de famille, de ne plus pouvoir gérer la famille. Parce qu’après ça découle sur le logement, sur… un papa qui ne pouvait pas acheter un cartable pour son gamin pour la rentrée, voilà quoi.
Donc ça veut dire aussi des allocations d’attente qui sont insuffisantes.
Oui, bien sur ! Sur la durée et sur le contenu.
Le montant et la durée, c’est un maximum.
Oui.
Surtout que nous les gens qu’on voit ce ne sont pas des gens qui sont dans le dispositif d’accueil, c’est des gens qui se démerdent tout seul. Soit ils sont en hébergement d’urgence, hôtel, etc… soit ils sont carrément hébergés, sous locataires, enfin bon
A la rue
A la rue.
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Des violences sexuelles subies par les femmes et mal reconnues
Quand même, ce qui est spécifique chez ces nanas là c’est que beaucoup ont été victimes de violences sexuelles, pratiquement toutes.
Oui, ça c’est clair !
Pas toutes mais une grande partie, une grande majorité.
Auparavant, avant d’arriver en France ?
Oui. Et alors la difficulté c’est que c’est vachement dur de faire reconnaître ça à l’OFPRA comme des persécutions dans le cadre de la demande d’asile. C’est pas tellement prise en compte les violences sexuelles. Purée ! Alors que tu as quand même des nanas qui en plus peuvent le démontrer. Moi j’ai des nanas qui ont été suivies par des toubibs, avec des certificats médicaux, pas que psy, même physique, qui constatent des séquelles. Mais l’OFPRA glisse là-dessus quand même. Et quand ce sont des nanas qui se barrent de pays où elles sont sous le coup de lois, genre charia, qui du fait qu’elles ont été victimes de violences sexuelles les rendent parias, coupables ou je ne sais pas quoi, l’OFPRA va te dire que ce sont des problèmes familiaux, personnels, ou de droit commun et que ça n’a rien à voir avec le statut de réfugié. Ça relève de leur vie privée.
C’est à dire que la persécution des femmes ne relève pas du champ du politique.
C’est super dur de le faire reconnaître.
Il y a quelques jurisprudences mais c’est marginal sur l’ensemble des situations.
Sur l’excision.
Oui mais alors il faut en arriver à l’excision quand même !
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Esclavage domestique et prostitution
Il y a beaucoup de gens ici qui sous couvert d’être hébergés chez un compatriote en fait se retrouvent dans des situations d’esclavage domestique. Traite d’êtres humains parce que exploitation sexuelle dans des réseaux, parce que vente… (…)
Je pense très spontanément, notamment à beaucoup de femmes que j’ai rencontrées et qui, bon pour arriver jusqu’ici, l’ont payé très cher aussi, pendant le voyage, puisqu’elles ont été exploitées sexuellement, parce qu’elles ont dû, parce qu’elles sont femmes, se plier à certaines choses pendant le voyage, jusqu’ici. Jusqu’à, ici, arriver à être prises dans des systèmes de traite d’être humain. Tout ça ce ne sont pas des histoires, ce sont des réalités. (…) J’ai une dame qui a dû se prostituer deux nuits pour payer son voyage pour aller à l’audience à la C.R.R., parce que le billet il n’est pas dans la convocation. Et ce n’est pas la seule.
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